L'heure était pourtant aux rachats surpayés ; Square Enix va à l'encontre de cette dynamique avec la vente de trois de ses studios occidentaux. Et non des moindres : le créateur de Final Fantasy et Dragon Quest dit adieu aux aventures de Lara Croft, à l'emblématique licence Legacy of Kain / Soul Reaver, mais aussi à Deus Ex. Improbable, et assurément mal vendu. Cela présage de mauvais jours pour Square Enix, et de resplendissants pour l'heureux acquéreur.

300 millions de dollars pour acquérir Tomb Raider et d'autres licences iconique du jeu vidéo

Les bruits de couloir l'affirmaient : Square Enix n'était pas eu meilleur de sa forme ces derniers temps. L'éditeur japonais a perdu de son lustre d'antan avec les dernières générations de console. Si on devait retenir une licence forte et récente, son nom serait assurément Nier (Replicant et Automata), pourtant considéré comme un vilain canard il y a quelques années seulement.

Les derniers épisodes de Final Fantasy déçoivent depuis le 13ème volet et ses nombreuses itérations ; Dragon Quest fait figure de jeu respecté mais peu prisé par les joueurs. Cependant, rien n'indiquait que Square Enix était suffisamment désespéré pour vendre certaines de ses licences occidentales les plus prestigieuses pour une bagatelle.

300 millions de dollars ; il aura fallu cette somme pour mettre la main sur un nombre étonnant de franchises respectées du jeu vidéo. Parmi celles-ci : Tomb Raider, Legacy of Kain, Deus Ex, Thief, Gex, ou encore Pandemonium. En l'état, trois studios de Square Enix ont été vendus à Embracer Group : Eidos Interactive Corp, Crystal Dynamics Inc et Square Enix Montréal.

La chose est étonnante, compte tenu de l'annonce récente d'un futur Tomb Raider fonctionnant sous Unreal Engine 5. Néanmoins, nul doute que la transaction était déjà dans les cartons, et que Crystal Dynamics travaillait déjà conjointement avec Embracer Group.

Ce dernier acteur a assurément profité d'un incroyable bon plan sur le jeu vidéo. Celui-ci doit être mis en perspective avec les précédentes et médiatiques transactions ayant émaillé le monde du jeu vidéo. Microsoft a racheté Blizzard Activision pour près de 70 milliards de dollars ; dans le même temps, Sony a annoncé l'acquisition de Bungie pour une somme proche de 4 milliards de dollars. Et, a priori, le mercato du jeu vidéo n'est pas fini.

Il aura fallu une somme dix fois moindre que celle dépensée par Sony pour que Square Enix se sépare de licences prestigieuses et emblématiques du jeu vidéo. Le grand gagnant de cette histoire, c'est assurément Embracer Group. Et, en coulisses, on ne peut que s'en faire pour l'éditeur japonais qui dit au revoir à Lara Croft, Kain, Raziel, Gex le Gecko, et palanquée d'autres figures importantes du secteur.

Qui est Embracer Group, nouveau propriétaire des licences Deus Ex et Legacy of Kain ?

Le mois de mai commence de la meilleure des manières pour Embracer Group. Pourtant méconnue du grand public, cette entreprise suédoise vient de faire main basse sur rien de moins que 50 licences importantes du jeu vidéo. Le flair des bonnes affaires, qui concrétise une très solide implantation dans le marché vidéoludique.

Si Embracer Group ne résonne pas dans l'esprit des joueurs invétérés, les noms de ses filiales pourraient rappeler quelques souvenirs. THQ Nordic, Koch Media, Gearbox ou encore Beamdog sont des noms plus qu'évocateurs. Au cours des dernières années, Embracer Group a investi massivement dans le jeu vidéo. Aujourd'hui, il dispose ainsi de 111 studios internes, pour plus de 12000 employés répartis dans 45 pays.

Surtout, Embracer Group ne se limite pas au seul marché vidéoludique. L'entreprise s'est également illustrée en rachetant l'éditeur de jeux de société Asmodee en 2021 ; dans un autre registre, les comics et le cinéma trouvent un représentant avec Dark Horse Media.

Cette capacité cross-media d'Embracer Group a de quoi impressionner, d'autant que la société opère dans l'ombre de très grands noms du secteur. À ce titre, nul doute que les futurs jeux de Crystal Dynamics, Eidos et cie mettront en avant les studios davantage que leur maison mère. Cette particularité lui permet d'agir de manière plus ou moins discrète, sans pression médiatique préalable, loin des dramas de Sony ou Microsoft.

Avec désormais Deus Ex, Thief, Legacy of Kain et consorts dans son portefeuille, Embracer Group se dote de licences importantes, par ailleurs propices aux adaptations cinéma, télévisuelles, ou en bandes dessinées. Un achat à 300 millions qui, entre de bonnes mains, pourrait valoir de l'or.

Bon sang, à quoi joue Square Enix en vendant ces licences prestigieuses ?

On ne peut que décemment s'interroger sur le bien-fondé de cette transaction. Celle-ci se situe loin des records qui ont rythmé cette année. 300 millions d'euros, pour le potentiel commercial représenté par Tomb Raider, c'est déjà peu ; ajouté aux 50 autres licences acquises par Embracer Group des mains de Square Enix, cela ne peut qu'interpeller.

En 2009, au moment d'acheter Eidos et Crystal Dynamics, Square Enix était en pleine ascension. La Playstation 3 et la Xbox 360 marquait un tournant : jamais les jeux japonais n'avaient été aussi éloignés des standards modernes, établis par les studios occidentaux, d'un point de vue technique. Avec deux partenaires de prestige, dotés de licences renommées, Square Enix pouvait idéalement envisager l'avenir, et une présence accrue en Europe et aux États-Unis.

Pourtant, depuis l'acquisition d'Eidos et de Crystal Dynamics, le constat est particulièrement mitigé. Jamais Square Enix n'a semblé en capacité de valoriser le prestige des licences rajoutées à son catalogue. Les résultats commerciaux des épisodes récents de Tomb Raider ont été décevants ; ceux de Deus Ex, pires encore, comme le prouve le cliffangher à jamais inachevé de l'opus Mankind Divided. Pour parachever l'ensemble : la licence Legacy of Kain est aux abonnés absents depuis de nombreuses années.

Cela rappelle la mauvaise intégration des jeux Rareware au catalogue de Microsoft, ou, plus proche, l'incapacité que montre Konami à valoriser Silent Hill, Metal Gear Solid ou encore Castlevania. En l'état, Square Enix dispose encore d'un catalogue prestigieux. Néanmoins, depuis quelques années, l'éditeur se contente de ressusciter les arômes des gloires passées, plutôt que de pleinement se tourner vers le futur.

Les échecs critiques et commerciaux des nouvelles IP, Balan Wonderworld en tête, sont révélateurs. De même que la vague de remakes aux réceptions mitigées, avec l'esclandre déclenché par l'adaptation moderne de Chrono Cross. Final Fantasy VII Remake ainsi que Kingdom Hearts 3 ont permis à l'éditeur japonais de respirer un brin ; on peut toutefois craindre le pire pour l'avenir.

Et ce ne sont pas les jeux annoncés qui rassureront les observateurs ; Final Fantasy XVI délayé, et Kingdom Hearts 4 annoncé de manière poussive. À quel jeu joue donc Square Enix ? Certainement pas aux siens, apparemment.