Qui n'a jamais pesté, en cherchant un objet à collectionner qui se dérobe inlassablement à l'étude d'un lieu ? Consulté une soluce pour déterminer son emplacement précis ? Depuis l'émergence des jeux en monde ouvert, les collectables sont devenus une tendance prégnante dans le marché.
Une idée obsolète, qui a fait son temps, et qui entache durablement l'expérience même du titre. Retour sur ce phénomène, et pourquoi la lassitude avec les collectables dans le jeu vidéo s'est installée.
Hogwarts Legacy, Ghostwire Tokyo : la fatigue des collectables dans le jeu vidéo moderne
Depuis quelques années et la sortie de GTA III, les jeux vidéo en monde ouvert ont pris la main sur le reste de la production vidéoludique. L'une des grandes tendances qui s'est dessinée avec cet essor et l'immission des collectables.
Mais si, vous voyez : ces petits éléments qu'il faut à tout prix collectionner au sein du jeu. Sous peine, souvent, de ne pas avoir totalement appréhendé le jeu. Un sentiment de regret qui accapare les joueurs dévolus à leur quête du 100%. Une complétion parfaite souvent couronnée par la récompense du fameux trophée Platine, sur consoles Playstation, ou de l'obtention de tous les succès du jeu.
Néanmoins, depuis quelques temps, les collectables sont devenus vraiment contrariants. Augmentant de manière superflue et artificielle la durée de vie, ils constituent l'apanage des productions vidéoludiques ayant peur de lasser à tout prix.
Le succès commercial de Hogwarts Legacy l'a relevé, ainsi que les critiques qui ont pu fuser par la suite. Pour chaque qualité du jeu, il y a au moins une dizaine de collectables qui correspondent. Épreuves de Merlin, pages de livres, animaux fantastiques, statuettes nocturnes... ça ne s'arrête jamais.
Et le jeu de Avalanche Software est malheureusement loin d'être un cas isolé. Proposant une chouette aventure, dotée d'un environnement original, Ghostwire Tokyo plonge également dans ce marasme. Les Tanukis, Yokai, audiologs, notes diverses, statues de Jizoh ne suffisent pas ? Pourquoi ne pas ajouter rien de moins que 240 000 esprits à réunir.
Loin d'être des cas particuliers, ces exemples sont tout de même représentatifs d'une industrie qui ne marche plus droit. À préférer la quantité à la qualité, on dilue l'expérience de jeu dans un ensemble très neutre, machinal, et peu mémorable.
Qu'est-ce qui différencie un bon collectable d'un mauvais collectible pour le monde ouvert ?
"La différence entre un bon et un mauvais collectable c'est euh... Benh, le bon collectable, tu le vois sur la carte, et tu l'attrapes. Et le mauvais collectable... Tu le vois sur la carte, et tu l'attrapes. Mais c'est un mauvais collectable."
Une fois cette inévitable comparaison avec un célèbre sketch des Inconnus, demeure la question : qu'est-ce qui différencie un bon élément à collectionner dans un jeu vidéo en monde ouvert, et une surcouche absolument artificielle, résolument présente pour augmenter la durée de vie ?
De l'urgence d'en finir (mais après, j'ai collectionnite et piscine avant)
Comme bien des choses, il s'agit d'un élément d'appréciation spécifique à chaque joueur, et finalement entièrement personnel. Néanmoins, la nuance, arbitraire, pourrait être proposée sur le collectable narratif, et l'objet à collectionner sans raison.
Ces derniers sont très nombreux, et peuvent impliquer des lieux. C'est par exemple ce que propose l'immense majorité des jeux estampillés Ubisoft en monde ouvert, depuis plus d'une décennie. Une tour ou un point élevé permettra de dégriser une partie de la carte, et d'y percevoir de nouveaux points d'intérêts à visiter. Commence alors la désespérante quête du 100% sur cette zone.
Même dans des productions plus simples, comme le très réussi Rayman Legends, Ubisoft désespère. Avec ses 40 000 Lums à réunir, impliquant des mois de labeur, la quête semble vouée à l'inachevé. Une absurdité, finalement existentielle, que n'aurait pas reniée l'incroyable Stanley Parable.
Si l'aventure est suivie directement, le joueur n'aura vu que 30% des éléments constituant le jeu. S'il décide de céder à la folie de la collectionnite, il risque de passer à côté de l'aspect urgent de l'intrigue.
Dans le registre, un délai est donné à Aloy dans le dernier Horizon Forbidden West. Pourtant, rien ne vous empêche de vaquer à vos occupations, en dépassant le nombre de jours indiqués avant l'Apocalypse.
Intervient ici une nouvelle notion de dissonance ludonarrative, s'immiscant par le seul biais de la folie des collectables.
Les quêtes et missions annexes : des collectables qui ne disent pas leur nom
Dans l'autre sens, certains collectables, les "bons" serait-on tenté de dire, ont trait à des éléments approfondissant le lore, ou l'expérience de jeu.
Les Pokémon sont des collectables ? Certes, assurément. Toutefois, l'engagement et la satisfaction procurée par la complétion d'un Pokédex, évoqué comme objectif secondaire dans tout jeu de la licence, font partie intégrante de l'expérience vidéoludique. On est très loin des épreuves de Merlin.
À ce titre, il faut aussi évoquer la profusion de quêtes secondaires qui alimentent les jeux d'aventure, et cela depuis des années. Certaines bénéficient d'un soin d'écriture indéniable. Elles n'en constituent pas moins des formes de collectables.
Dans cette perspective, de trop nombreuses missions annexes font figure de remplissage. En témoigne bien l'utilisation, désormais démocratisée, de l'expression "quête Fedex", où il s'agit d'aller à un point A, puis à un point B, et d'en revenir.
Certains jeux en jouent allègrement, comme Death Stranding. Le dernier jeu de Hideo Kojima ne propose que des quêtes Fedex ; certains peuvent y voir, en sous-couche, une critique du marché du jeu vidéo, ou une proposition qui, tablant sur des acquits universels, suggère une respiration supplémentaire, une invitation à l'évasion propice à la mélancolie.
Les collectibles sont-ils seulement l'affaire du jeu vidéo moderne ?
Un peu plus tôt était affirmée la sentence selon laquelle les collectables avaient émergé avec les jeux vidéo en monde ouvert. Il serait tristement erroné d'insister sur cette idée. Bon nombre de jeux proposaient, par le passé, ce genre de système.
Qui n'a jamais lutté pour atteindre les 105% de Crash Bandicoot 3, en obtenant toutes les caisses de chaque niveau ? Chaque personnage de Suikoden, afin d'entrevoir toutes les possibilités offertes par le titre de Konami ? Chacune des invocations de tout Final Fantasy ? Toutes les voitures de Gran Turismo 7 ? Les collectables ne datent pas d'hier.
Loin s'en faut même : après tout, n'était-ce pas le destin de Pac-Man d'engloutir chaque élément se présentant à lui pour augmenter le score ? Néanmoins, la tendance qui se dessine est que les collectables prennent le pas sur l'aventure proposée.
Ce constat va de pair avec la prégnance des trophées. Si bon nombre de joueurs ignoreront les succès spécifiques à chaque jeu vidéo, d'autres (et le rédacteur de ces lignes en fait malheureusement partie) seront influencés par leur obtention. Quoi de plus rageant que de finir un jeu, sans avoir la sensation d'avoir vu tout ce qu'il avait à proposer ?
Par leur émergence combinée, trophées et collectables sont, semble-t-il, liés dans l'absolu. Les développeurs en profitent pour augmenter la durée de vie de leurs jeux, comme s'il s'agissait là d'une exigence cruciale du joueur. Malheureusement, pour certains, c'est le cas.
L'exigence d'un jeu vidéo le plus long possible pour satisfaire les foules est obsolète
La question de la durée de vie a toujours été un critère d'évaluation controversé. Auparavant, la presse spécialisée dans le jeu vidéo décernait même une note sur ce biais-là. Toutefois, elle semble intrinsèquement liée au jeu vidéo en tant que média.
L'exception vidéoludique sur le critère de durée
Jamais un film n'a été célébré pour la longueur de son visionnage. Pour un roman, il en va de même, et l'album d'un artiste connaît une perception similaire. Dans ces cas-là, il y a même fort à parier qu'une durée ou un volume plus conséquent implique des redondances, ou un aspect rebutant auprès de l'utilisateur.
Et c'est justement là qu'intervient le rôle d'un éditeur, censé couper le superflu, en se mettant parfois à dos le créateur de l'œuvre. Oui, on pense à vous, les Stanley Kubrick, David Fincher, Francis Ford Coppola ou Terrence Malick.
Pourtant, les éditeurs de jeu vidéo auraient davantage tendance à pousser à l'inclusion d'éléments bénéfiques à la durée de vie. Plus c'est long, plus c'est bon ? Pas vraiment. Cette manière de penser semble tout droit sortie des années 90, au moment où le jeu vidéo s'est popularisé.
À l'époque média orienté vers la jeunesse et l'adolescence, il ne bénéficiait pas de la même couverture commerciale, ni du même budget de la part des foyers. Un jeu vidéo s'obtenait une à deux fois par an, à l'occasion d'un anniversaire ou de Noël. Par conséquent, on connaissait chacun de ses recoins, car le joueur était cantonné à y retourner, encore et encore.
Aujourd'hui, il sort des jeux par palanquées chaque mois, en témoigne le catalogue Steam qui ne cesse de grossir. Impossible, donc, de passer autant de temps que naguère sur un jeu vidéo. Et pourtant, jamais n'ont été plus nombreux les jeux qui demandent près d'une centaine d'heures pour être vécus entièrement.
Le collectable n'est pas la cause, mais la conséquence d'une industrie qui marche sur la tête
De fait, très tôt, l'emphase a été mise sur la durée de vie des jeux vidéo. Celle-ci devait permettre d'évaluer sans coup férir les qualités intrinsèques d'un titre. Après tout, si l'on y passe du temps, c'est que ça doit valoir le coup, et par extension, le coût, non ?
Pourtant, force est de reconnaître que l'abondance de collectables entame gravement l'immersion dans un jeu. Quand on parle de ceux-ci, on pense forcément aux mauvais aspects, aux créations dépourvues de toute logique narrative, ou décorrélées du gameplay en lui-même. Entrez ici, Hogwarts Legacy et toutes les victimes de l'ubisoftisation du jeu vidéo moderne.
Difficile, toutefois, d'avancer près de 80 euros pour un jeu ne durant qu'une dizaine d'heures. Ce genre de mécanique est le propre des jeux indépendants, bien moins onéreux. Dans ce registre, la commercialisation de Stray, sous l'égide d'un ténor du marché, Sony, relève du petit miracle.
Les collectables sont ainsi une concrétisation paresseuse d'une durée de vie optimisée. Après tout, la carte est déjà là : il s'agira juste de placer un peu aléatoirement des éléments à collectionner, et l'ensemble devrait satisfaire les foules.
Du point d'intérêt au désintérêt : l'inextricable fatalité du jeu en monde ouvert
Le problème, c'est que machinalement, les joueurs auront deux possibilités : soit se balader de point d'intérêt en point d'intérêt, à la recherche d'une forme de célébration de la complétion ; ou ignorer chaque sollicitation intempestive, et observer d'un œil morne une carte surchargée en repères.
Heureusement, certaines cartes de jeux vidéo en monde ouvert permettent d'ignorer les repères liés aux collectables. Reconnaissons au moins cette réussite à Ghostwire Tokyo. Le cas échéant, toutefois, l'intensité et le côté épique d'une aventure se diluent tristement, dans son urgence, lors de la recherche d'objets si annexes.
Sans vouloir faire l'apanage de la scène indépendante, il est plus que temps que l'industrie des majors du jeu vidéo en tienne compte. La surabondance de collectables n'est pas la caractéristique d'un bon jeu.
Au contraire, elle indique de plus en plus un titre tristement générique, voué à être aussi vite oublié qu'il n'a nécessité de temps à terminer.