Ceci est une critique qui ne rime pas avec l'actualité, tout en s'y prêtant fortement. Il n'est pas question de l'adaptation américaine, disponible sur Amazon Prime Video et annulée au bout d'une saison.
Non, ici, on parlera de la série TV anglaise, Utopia UK, de Dennis Kelly, qui a fortement ébranlé les spectateurs en 2013. Certes, elle fut annulée au bout de deux saisons, mais reste tout de même un monument esthétique, aussi bien musical et visuel, doté d'un scénario à faire froid dans le dos en période de pandémie.
Des années avant la Covid-19, l'histoire d'Utopia, vraiment visionnaire ?
Parmi un certain nombre d'initiés, amateurs de romans graphiques ou tout simplement d'art, l'unique volume d'Utopia est adulé. Son esthétique troublante, son histoire cryptée, et ses interprétations nombreuses lui valent une fascination étrange.
Un homme d'affaires, admirant la bande dessinée, parvient à mettre la main sur le manuscrit du second tome, jusqu'alors inconnu.
Cinq individus d'horizons très divers vont se regrouper pour la lire, sans savoir qu'une organisation essaie d'effacer toutes les traces menant à cet ultime volet d'Utopia. Quelles sont les forces en action, n'hésitant pas à commettre les pires forfaits pour mettre la main sur le roman graphique ?
Une série annulée au bout de deux saisons, et excellente durant 9 épisodes
En mars 2020, lorsque l'essentiel de l'Humanité était confiné, la presse s'est fait un plaisir de ressortir les films et séries parlant de pandémie. C'est bien évidemment à ce moment qu'a été teasée la sortie de la version US de Utopia, permettant certains de se replonger dans la série originale de Dennis Kelly.
Bien qu'opportuniste, la presse évoquant essentiellement les relents complotistes de cette œuvre, cette publicité nouvelle a permis de découvrir une esthétique marquante, une violence implicite mémorable, et une musique hantée. Que vaut donc, en 2021, cette création datant de 2013 ?
Couleurs criardes, homme lapin qui danse, et roman graphique : c'est donc ça, Utopia ?
Si Utopia UK interpelle d'emblée, elle le doit sûrement à sa première scène.
Dans celle-ci, deux personnes suppriment comme si de rien n'était les clients d'un magasin de comics, enfant compris. Face à la devanture ? Un homme lapin qui danse. Les images marquent, la musique elle aussi, et le contraste singulier d'Utopia s'impose derechef.
Les couleurs criardes, faisant référence à des romans graphiques et donnant à l'ensemble un aspect cartoon, tranchent avec la violence implicite, jamais trop montrée, illustrée de manière astucieuse mais particulièrement sensible.
Une aura d'étrangeté, de bizarrerie, émane de cette série télévisée, diffusée sur Channel 4 chez nos amis britanniques. À tel point que la chaîne recevra de nombreuses plaintes pour le début d'un épisode, heurtant les spectateurs pour son rapport à l'actualité d'alors. Impossible de ne pas s'étonner à l'idée que, de sa première apparition sur les écrans jusqu'à nos jours, on a toujours voulu raccrocher Utopia à l'actualité.
Pendant les 6 épisodes de la première saison, la tension va crescendo, les arcs scénaristiques les plus éloignés sur le papier se rejoignant pour un final d'anthologie, et une grande révélation sur le pouquoi du comment lors du cinquième épisode. Cette révélation, sur laquelle on ne s'appesantira pas, laisse des séquelles durables chez le spectateur, remettant en cause sa notion de la morale, du juste, et du mal.
À ce titre, l'évolution d'un personnage en particulier reste parmi les plus intéressantes mises en images à travers une série télévisée. Wilson Wilson, si tu nous entends, tu ne seras pas oublié. En contrepoint, on ne saura que trop regretter des jeux d'acteurs assez piètres (clin d'œil, clin d'œil), notamment de la part de Alexandra Roach et Nathan Stewart-Jarrett (Misfits).
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Musique, images et histoires : le trio gagnant d'Utopia
Si Utopia doit son succès, outre l'histoire, c'est aussi en raison de deux aspects. La musique, tout d'abord, composée par Cristobal Tapia de Veer, alterne entre les rythmes déstructurés et la jungle euphorique, soulignant pour chaque scène une tension, un drame latent, et une ambiance morbide.
Enfin, chaque plan est pensé comme un tableau ; une composition aux couleurs chatoyantes, qui rehausse les standards de la télévision. Impossible de ne pas songer que les séries devraient toutes avoir ce degré d'exigence.
Le secteur ne s'y est d'ailleurs pas trompé : l'influence d'Utopia se retrouve, encore aujourd'hui, dans nombre d'œuvres. Qu'il s'agisse du superbe premier épisode d'American Gods, aux trois premiers épisodes de The Third Day, et surtout à la première saison de Dirk Gently, Utopia aura durablement marqué son époque.
Un exploit, pour une série à l'existence si courte. Amazon Prime Video aura flairé le même filon, sans le même succès cependant. Toutefois, il serait faux de dire que l'ensemble est absolument dépourvu de tout défaut.
Est-il possible de regarder la version non censurée en France ?
C'est Canal+ qui s'est offert les droits de diffusion d'Utopia UK en France. Le diffuseur de Vivendi a seulement eu la mauvaise idée de censurer bon nombre de plans, non-essentiels certes, mais renforçant ô combien le sentiment de danger et d'imprévu, de jusqu'au-boutisme. Les deux saisons sont disponibles sur myCanal, mais il n'existe aucun moyen légal, y compris en DVD ou en Blu-Ray, de regarder Utopia sans censure en France. En revanche, pour les anglophones, l'intégrale de la série Utopia UK est disponible en VO sur YouTube.
De l'impossibilité de la perfection, mais de l'opportunité de la tutoyer
Si proche, et pourtant si loin. Alors que la première saison, ses enjeux narratifs et ses thèmes musicaux résonnaient encore dans l'esprit des spectateurs, Channel 4 décida donc de lui offrir une seconde saison.
Diffusée en plein été, car c'est assurément à ce moment que les spectateurs pourront lui accorder le plus de temps. Inutile de tergiverser, Utopia - Volume 2, est un gâchis, cruellement prévisible.
Pourtant, c'est peu dire que le premier épisode, un flash-back d'une heure, incite à l'optimisme. De mémoire d'amateurs de séries, il s'agit de la première fois où un programme TV parvient à redonner une vision nouvelle sur des personnages déjà existants et secondaires.
Cette caractérisation tissera le fil rouge de cette seconde saison, à part, et parfait complément au crescendo évoqué de la saison 1. Si Utopia en était restée là, elle serait demeurée comme un tour de force de génie dans les esprits.
Malheureusement, le reste des cinq épisodes qui composent cette seconde saison est tristement décevant. Les enjeux sont déjà connus, et il ne s'agit plus que d'une nuance à apporter, qui met à mal l'ambiguïté morale du premier volet.
Par ailleurs, le symbolisme obligé par un budget moindre interpelle considérablement. Là où est censée se trouver une agence secrète toute-puissante sur le plan international se trouvent deux agents et deux policiers.
Complètement dispensable, le volume 2 est à ne pas mettre entre toutes les mains. Il saura peut-être contenter les fans en mal d'une saison 3 qui tristement n'arrivera jamais.
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