Comme un petit goût de déjà-vu, les versions d'évaluation semblent faire leur grand retour dans le marché du jeu vidéo. Concrètement, ces essais de titres à venir devraient être régis par une contrainte de plusieurs heures d'essai.
En faisant passer pour une nouveauté, un argument commercial, Sony, et désormais Microsoft, oublient que les démos ont été la clé de la démocratisation du jeu vidéo. Un outil ludique et publicitaire qui leur a également permis de percer, sans que le joueur dépense des sommes colossales pour des abonnements quelconques. Et en oubliant, également, que Nintendo propose des démos sans faire de bruit depuis des années.
Le grand retour des versions d'évaluation de jeux sur les consoles Sony, Microsoft et Nintendo
Elles constituent aujourd'hui un argument commercial pour l'abonnement Playstation Plus Premium de Sony, déployé dès le 22 juin en France : les versions d'évaluation.
Alors que le constructeur de PS5 lance bientôt son service, Microsoft réplique déjà. Le rival, connaissait un succès certain avec la Xbox Series X, devrait mettre en place des versions d'évaluation pour les jeux les plus populaires et les plus onéreux.
Attention toutefois : pour cela, il faudra être abonné au Xbox Game Pass a minima ; nul doute toutefois que les démos de jeu seront également disponibles pour qui a souscrit au Game Pass Ultimate, sur ordinateur.
Dans les deux cas, PS+ comme Game Pass, les essais de jeux devraient durer plusieurs heures. À terme, si le joueur achète le jeu, les trophées ou succès obtenus devraient être débloqués et ajoutés au profil du joueur.
Néanmoins, ce qu'on nous présente comme une innovation étonnante existe depuis plusieurs décennies désormais ; plus de 25 ans, à dire vrai, et l'émergence de la première Playstation. Si la fonctionnalité constitue un coup d'éclat dont les aficionados de PS5 et Xbox Series X feront les choux gras, il faut garder en tête que Nintendo est devenu un maître en matière d'essais de jeux. En témoignent, récemment, les généreuses versions d'évaluation de Triangle Strategy, ou Fire Emblem Warriors : Three Hopes, avec plusieurs heures accessibles gratuitement.
Loin d'être une nouveauté, les démonstrations de jeu font partie de l'Histoire vidéoludique. Le plus remarquable là-dedans ? C'est justement Sony et Microsoft qui avaient essayé d'en marquer la fin, afin de valoriser leurs services PS Now, Xbox Live et Game Pass. Ironie du temps, quand tu nous tiens.
Comme un petit goût des années 90, l'âge d'or du CD de démo
Ici, on va parler d'un temps qui date, connu par les jeunes trentenaires de nos jours, et gamins à la fin des années 2000. Il était un temps où, pour s'informer sur le monde du jeu vidéo, il fallait acheter un magazine papier. Consoles+, Console Max, Joypad, Joystick, Playstation Magazine, Tilt, Player One : les références étaient nombreuses, et souvent les journalistes passaient d'une rédaction à l'autre.
Certains, par ailleurs, ont migré vers les premiers sites dédiés au jeu vidéo, aujourd'hui parmi les plus connus ; on pense notamment à Greg, de Joypad, encore présent chez Gamekult ; ou à Gollum, devenu Julien Chièze, ex-Joypad et ex-GameBlog, désormais à son compte. Sans oublier AHL, ancien rédacteur en chef, mentor et ami d'un paquet des jeunes ouailles qui constellent les rédactions des sites spécialisés aujourd'hui encore.
Comme quoi l'avenir prend souvent source dans le passé (sic), les versions d'évaluation disponibles sur le PS+, l'eShop ou le Xbox Live trouvent leur inspiration dans les CDs de démo de la presse spécialisée des années 90 et 2000.
Le rôle de la presse papier spécialisée pour l'essor des démo de jeux
C'est un temps révolu, la faute, en grande partie, à des publications désireuses de satisfaire les éditeurs de jeu vidéo. À ce titre, la presse papier du jeu vidéo a sombré à cause des mêmes procès que l'on intente aux sites spécialisés, à grand renfort de "il est où le chèque de Sony" dès qu'un jeu est trop bien noté, ou mis en avant.
Néanmoins, dans certains cas, cette presse papier avait un atout de choix : les CDs de démo. C'est d'abord avec les magazines PC que sont apparus ces suppléments ; puis, par la suite, dans les mensuels orientés autour d'une console en particulier. Ils constituaient alors un argument commercial important pour l'achat d'un journal, voire son abonnement.
Permettant de découvrir les jeux à venir, ces suppléments aux journaux spécialisés constituaient un moyen de fidéliser les joueurs autour d'une marque. On parlait alors de la fameuse Guerre des Consoles, dont certains internautes se font encore les hérauts de nos jours.
Rétrospectivement, on peut le dire, Sony a percé sur le marché vidéoludique notamment par ce biais. Les cartouches de Nintendo 64 étaient trop chères et volumineuses pour être incluses dans des magazines ; seuls Sega, avec l'éphémère Dreamcast, puis Microsoft, avec sa Xbox, utiliseront l'idée des CDs de démo à leur compte.
Jeux indé, expériences, créations de joueurs, voire clips et trailers : les CD de démonstration et leur importance
Concrètement, les CDs de démo comportaient des évaluations de plusieurs jeux, ainsi que des trailers de titres à venir. Dans certains cas, des jeux entiers, créés par les joueurs sur la Net Yaroze de Sony, figuraient également sur les disques. La Net Yaroze était un modèle de développement pour Playstation. Elle permettait de développer des jeux entiers, avec des moyens nuls ou très limités.
Il serait à dire vrai réellement intéressant de se pencher sur les créateurs d'expériences Net Yaroze ayant percé dans le métier. Néanmoins, pour qui a un jour mis la main sur un CD de démo Playstation, il y a fort à parier qu'il a déjà joué aux pairs de Gravitation, Blitter Boy ou Time Slip.
Outre ces expériences très précises, les CDs d'évaluation permettaient de tester des jeux à paraître. Les éditeurs ne s'arrêtaient pas là ; parfois étaient également présents des trailers pour des films, voire des clips musicaux complets. Bien sûr, leur qualité était moindre, adaptée sur CD avec les moyens du bord. Aujourd'hui, les CDs de démo sont prisés par les collectionneurs épris de rétrogaming.
Plus tard, avec l'essor du support DVD sur consoles, davantage d'expériences ont pu être insérées. Cependant, la fin de la génération PS2 / Xbox a aussi amorcé la mort de la presse papier du jeu vidéo. C'était désormais vers Internet qu'il fallait se tourner pour trouver des versions d'évaluation.
Des démos avec jeux entiers cachés, comme Crash Bash
À l'époque, nul ne le savait ; il a fallu plusieurs décennies pour que l'astuce s'ébruite. Depuis un CD de démo, certains jeux entiers, plus tard commercialisés, étaient déblocables avec une manipulation. C'est le cas, par exemple, de Crash Bash, party-game de la franchise Crash Bandicoot. Présente sur les CDs démo "Euro Demo France #47, #50 et #51", la démo de Spyro 3 : Year of the Dragon donnait accès à tous les mini-jeux de l'opus de la saga voisine. Si vous êtes intéressés, voilà comment débloquer Crash Bash en entier avec le CD de démo.
Évaluation et démonstrations de jeu vidéo : ont-elles jamais disparu ?
C'est avec l'arrivée des consoles Xbox 360 et Playstation 3 que les versions d'évaluation se dématérialisent. On est en 2006-2007, et la plupart des foyers français disposent d'une connexion internet. De fait, les plateformes digitalisées, ci le Xbox Live, çà le Playstation Store, se démocratisent également.
Internet et les premières évaluations du Playstation Store et du Xbox Live
Par le biais des boutiques dématérialisées de PS3 et Xbox 360, les joueurs peuvent directement télécharger des démonstrations de jeu. Souvent limitées par un délai temporel, ou par l'atteinte d'un point de passage, elles ont le même objectif que naguère : montrer les atouts d'un jeu, son gameplay, en en mettant (idéalement) plein les yeux aux potentiels clients finals.
Là entre le concept de first-hour experience. Dans un jeu, généralement, deux éléments sont travaillés de fond en comble par les développeurs : le début, et la fin du jeu. Le début doit en mettre plein les yeux, inciter à parcourir le jeu entièrement ; la fin, pour sa part, doit marquer et impressionner, afin que le titre laisse un souvenir impérissable. Et que, le cas échéant, le joueur puisse se jeter sur la suite, ou sur un autre jeu du studio.
Les versions d'évaluation mettent ainsi en avant l'expérience de la première heure. Il s'agit, à quelques exceptions près, de moments sélectionnés par les éditeurs pour leurs capacités à séduire. Dans d'autres cas, elles mettent en avant des séquences où le personnage dispose de toutes les armes acquises au cours du prologue. Coucou El Shaddai : Ascension of the Metatron, jeu trop vite oublié, à l'essai et l'esthétique classieux.
Plébiscitées jusqu'alors, les démos ont incarné un risque pour l'industrie. Comment valoriser d'autres services payants en donnant accès à des jeux tronqués, mais représentant leurs défauts et qualités, sans frais ?
La première fin des démos de jeu pour privilégier les services payants de Sony et Microsoft
Encore prisées pour la génération PS3 et Xbox 360, les versions d'évaluation ont progressivement cessé d'abreuver les joueurs. Les raisons sont multiples. Tout d'abord, en mettant en avant, le plus souvent, la first-hour experience, elles gâchaient le potentiel de la version finale.
Par ailleurs, Sony et Microsoft ont commencé à sortir des services payants complémentaires. Le Playstation Plus, première mouture, permettait d'obtenir deux jeux gratuits ; le Xbox Live Gold, obligatoire pour jouer en ligne sur Xbox 360, incluait aussi des jeux complets "offerts".
Plus de temps, donc, pour tester les jeux vidéo. Par conséquent, les expériences d'évaluation limitées se restreignirent, bon gré mal gré, aux jeux sportifs. Parmi ceux-ci, les évidents Pro Evolution Soccer, FIFA, Madden, et d'autres titres plus atypiques, comme Supersonic Acrobatic Rocket Powered Battle Cars.
Néanmoins, ne nous le cachons pas, les démonstrations de jeu ont cessé à partir de la PS4 / Xbox One. Les constructeurs souhaitaient valoriser d'autres manières d'éprouver le jeu : PS Now, PS+, Game Pass, Xbox Live Gold. Le joueur, pris dans une furie de titres à lancer, n'avait plus le temps de jouer à des jeux présentés d'emblée comme incomplets.
À l'aune de ces nouvelles versions d'évaluation mises en place par les abonnements Game Pass et PS+, ce retour en arrière, ou ce pas en avant, c'est selon, peut interpeller. Constat assez étonnant, pour ne pas dire paradoxal ; après avoir tenté de les faire disparaître, Sony et Microsoft voient dans les démo leur nouveau cheval de bataille.
Alors que, de son côté, Nintendo n'a jamais arrêté d'en mettre à disposition, sans en faire un élément marketing éclatant. Après tout, à vous de voir si vous êtes prêts à payer 16€ par mois pour jouer à la démo de Horizon North to South Roadshow Cult.