C'est un fait : au gré des générations de consoles, les suites permettant d'établir des franchises se multiplient, laissant peu de place aux nouvelles licences, ou one-shots. L'intérêt pour les studios est évident : en familiarisant le public à un style de jeu et un personnage, ces identités seront bien reconnues. Cela fait pourtant quelques années que les studios Remedy font bande à part dans cette perspective.
Après avoir dû laisser les droits de la série Max Payne à Rockstar, les Finlandais ont créé, en tout et pour tout, trois jeux distincts. Alan Wake, Quantum Break, et Control. Trois jeux vidéo disséminés au cours de leur CV, pour des résultats financiers mitigés, mais une réception critique solide dans l'ensemble. Control, sorti en fin de génération PS4 / Xbox One, souffrait d'évidentes tares, notamment techniques. Le passage sur consoles nouvelle génération permet-il de rétablir l'aura de Control Ultimate Edition comme la meilleure IP de la génération précédente ?
Conditions de test
Le jeu, déjà fait en 2019 sur PS4, a été redécouvert sur Playstation 5, cette fois-ci dans sa version Ultimate. Le testeur, traumatisé par le dynamisme de la première mouture, a préféré faire l'impasse sur le ray-tracing pour obtenir une fréquence constante de 60 FPS.
Personne ne vous entendra crier dans l'Ancienne Maison
Jesse Faden arrive enfin à dénicher l'Ancienne Maison, un lieu atypique qui abrite les locaux du FBC - Federal Bureau of Control. Ici est censé se trouver son frère Dylan, kidnappé durant leur enfance suite à des évènements survenus dans la ville d'Ordinary. Guidée, en filigrane, par une entité supranaturelle, Polaris, Jesse accède au bureau du directeur Trench. Le cadavre encore fumant de celui-ci gît sur le sol, son arme délaissée. Jesse s'en empare. Elle devient la nouvelle Directrice du FBC.
C'est une bonne situation, ça, Directrice ? Et bien, pas tellement. Le Hiss, un mal qui ronge l'ensemble de l'Ancienne Maison, s'est libéré et modifie le comportement de la plupart des humains présents. Jesse devra y remédier, ainsi qu'aux divers soucis créés par les objets de pouvoirs, les objets altérés, et l'Ancienne Maison elle-même, véritable labyrinthe constamment en mutation, peu prolixe à dévoiler l'ensemble de ses secrets à la première-venue, toute Directrice soit-elle.
Serrant son arme au creux de sa main, Jesse va devoir faire preuve de sang-froid pour rétablir le contrôle sur la situation.
Plein de promesses en 2019, Control Ultimate Edition est à la hauteur des attentes
Incontestablement, Control avait séduit lors de son arrivée sur Playstation 4, PC et Xbox One, en 2019. Une fin de génération ponctuée par de nombreux titres marquants, parmi lesquels Red Dead Redemption 2, God of War, ou encore Death Stranding.
Pourtant, plutôt que d'être porté aux nues par un public déchaîné, le titre avait eu du mal à compenser les coûts de développements du studio Remedy. La faute, selon bon nombre d'observateurs, à un marché surchargé, l'arrivée prochaine d'une nouvelle génération de consoles, et surtout certains problèmes liés à Control sous sa forme initiale.
Les qualités propres au titre étaient aussi causes de soucis pour qui portait les mains dessus.
- Son esthétique visuelle, tout d'abord, particulièrement travaillée, souffrait d'une ambition trop conséquente pour les pauvres Xbox One et PS4 qui régnaient alors en maîtres sur le marché.
- Le système de combats, combinant TPS et utilisation de pouvoirs supernaturels, constituait la meilleure expérience mise en place sur les titres de Remedy. Néanmoins, le framerate se faisait cruellement déficient dans les moments de combat frénétique, rendant le tout parfois difficilement jouable.
- Enfin, les chargements, que l'on passe d'un menu à l'autre ou durant des téléportations, pouvaient se faire trop longs.
Autant d'aspects heureusement corrigés dans cette édition Ultimate de Control, dont l'appellation est amplement justifiée. Il s'agit de la véritable version du jeu, telle qu'envisagée et promise par les développeurs lors de son initiale commercialisation.
Au Hiss le contrôle : Jesse Faden à la rescousse du FBC
La première visite, ou a fortiori, dans le cas de votre humble serviteur, la redécouverte de l'Ancienne maison aura tendance à laisser sur le séant quiconque s'y adonnera. C'est un euphémisme que d'avancer que Remedy a pensé en amont son jeu, pour faire rythmer l'aventure avec les évolutions du décor et le mystère planant.
Opaque, éthérée, agressive, l'ambiance de Control est unique en son genre. Elle permet d'impliquer d'autant plus le joueur que celui-ci, perdu comme Jesse, s'identifiera davantage aux objectifs de la jeune femme.
Cette dernière, perdue, en découvrira bien plus qu'escompté sur les motivations du FBC et les évènements ayant mené à l'intrusion du Hiss. Plus encore ; l'Ancienne Maison est ici un véritable personnage à part. Les départements et leur géographie sont parfaitement encadrés par des ambiances distinctes.
Certes, il faudra quelque temps avant de découvrir les lieux et de se repérer aisément. Néanmoins, après avoir compris que la carte aidait peu, et qu'il fallait s'en tenir à ses sens, la présence de points de téléportation bien placés ainsi que différents repères facilitent d'autant la tâche.
Chaque première incursion dans une aile de l'Ancienne Maison restera mémorable, aussi bien par les innovations visuelles proposées, la découverte d'ennemis, que la stimulation de l'imaginaire provoquée chez le joueur. Un imaginaire par ailleurs lui aussi bien encadré.
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La narration au détriment du gameplay : le défaut habituel de Remedy Entertainment
Remedy Entertainment s'est avant tout fait connaître pour des histoires assez savoureuses à parcourir. L'un des principaux reproches adressés au studio est son incapacité chronique à coupler sa narration ambitieuse avec un gameplay solide. Ce défaut se retrouve dans Control, avec quelques motifs d'excuse néanmoins.
Ancienne maison, EAM, Hiss, objets de pouvoirs : un lore confondant de richesse et trop envahissant
Qu'on se le dise : Control est bavard, à l'excès. Ce n'est pas un extrême jusqu'au-boutiste à la façon d'Hideo Kojima (qui apparaît subrepticement dans le jeu, d'ailleurs) dans Death Stranding, mais un mal qui, tel le Hiss l'Ancienne Maison, ronge progressivement le jeu. Dans tous ses titres, Remedy a une visée privilégiant la narration au détriment de gameplay. Si l'équilibre n'a jamais été aussi proche d'aboutir que sur Control, certains errements du studio finlandais survivent néanmoins.
En parcourant Control, le joueur est constamment sollicité par des documents à trouver, un peu partout. Normalement leviers de récompenses auprès des joueurs souhaitant explorer les environs, ces dossiers deviennent extrêmement intrusifs. Il faudra se rendre dans les documents, agrandir le texte, pour consulter chacun, et il n'est pas rare d'en trouver un par pièce visitée.
La démarche est appréciable, mais entrave souvent le gameplay par le truchement de :
- émissions de radio à écouter ;
- des interventions du Directeur Trench, dévoilés en partie au cours du jeu, et complètement par le biais des menus ;
- des documents, comme mentionnés préalablement ;
- de cinématiques ;
- de vidéo, mettant en scène le docteur Darling en général ;
- d'enregistrements audio ;
- des émissions de marionnette glauques, dans la pure veine de Max Payne, Quantum Break et Alan Wake.
La Fondation au Remedy Connected Universe : enchanteresse et schyzophrène
À sa décharge, il faut admettre que le lore de Control est particulièrement riche. De l'émergence du Hiss aux évènements antérieurs, en passant par la backstory de chaque objet de pouvoir ou altéré, Remedy Entertainment tient à en dévoiler le plus possible sur l'univers créé. D'autant plus que celui-ci comprend désormais les précédentes productions du développeur, plus particulièrement dans l'édition Ultimate.
Avec Control, le studio finlandais élabore un peu plus son Remedy Connected Universe ( RCU).
Les renvois à Alan Wake, existants déjà dans la version de base du jeu, se concrétisent à travers l'apparition de l'écrivain maudit dans une extension, AWE, cette fois-ci incluse. Le précédent personnage phare de Remedy intervient pour aider Jesse à arrêter Hartman dans le secteur des Enquêtes. Par ailleurs, il existe également un ou deux easter-eggs liés à Quantum Break, production décriée de Remedy et exclusive, à ce jour, à Microsoft. Il y a également un vague rappel de Max Payne, plus dissimulé cela dit.
Ces références établissent un univers mixte, dans la pure veine de ce que peuvent proposer Marvel avec son MCU, pour le succès qu'on lui connaît, ou, plus proche dans la démarche, le triptyque Incassable - Split - Glass de M. Night Shyamalan. Néanmoins, cet afflux de documents pourra déplaire à plus d'un joueur, davantage porté sur l'action et l'aventure que sur l'univers étendu. Et il faut dire que pour une fois, le système de combat n'est pas en reste chez Remedy.
Pouvoirs et gunfights : un combo de choc pour une production maîtrisée
Le contraste avec les précédentes productions de Remedy est indéniable. Pour une fois, le studio de développement semble avoir abouti à un système de combat, certes générique par bien des aspects, mais particulièrement plaisant à jouer. Récemment, avec le portage d'Alan Wake sur consoles current et next-gen, l'un des points les plus critiques relevés était le système de combat. TPS pur jus sur certaines phases de gameplay, le titre mettant en scène l'écrivain inspiré de Stephen King lassait dans ses périodes d'action.
Avec l'édition Ultimate de Control, la donne change. Le combo armes de poing, avec l'arme de la Direction pouvant prendre différentes formes, et pouvoirs supranaturels est jouissif. Jesse peut passer de l'un à l'autre sans coup férir, envoyer tous les éléments de décor à la figure de ses ennemis, combattre au corps à corps, léviter, dans une harmonie jamais atteinte jusqu'alors.
Mieux encore : les 60 FPS et le ray-tracing - non cumulables sur consoles next-gen toutefois - permettent un spectacle pyrotechnique de très belle facture. Les affrontements vont vite, sont plaisants à jouer, et constituent l'une des grandes réussites de Control, à titre individuel, et progressions pour Remedy, dans un registre plus global. Par delà l'aventure principale, les deux extensions incluses prolongent le plaisir d'autant plus.
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Control est-il le grand jeu caché de la génération PS4 et Xbox One ?
La redécouverte, ou première incursion, dans l'univers de Control permet de replacer le jeu dans la hiérarchie des titres sortis ces dernières années. Si bon nombre de franchises ont vu de nouveaux épisodes succéder dignement à leurs aînés, le jeu de Remedy a le mérite d'être une nouvelle licence. Les joueurs sont ainsi perdus dans cet univers, dès le début du jeu, ce qui après tout va de pair avec la volonté des développeurs.
Control est incontestablement le meilleur jeu du studio jusqu'à ce jour. Tirant le meilleur de chacune des productions Remedy passées - l'atmosphère de Alan Wake, le côté WTF de Max Payne, les combats et pouvoirs de Quantum Break - il parvient tout de même à imposer sa patte, pour un titre mémorable.
Néanmoins, cela lui permet-il d'obtenir sa carte au panthéon des grands jeux de ces dernières années ? L'appréciation est par définition subjective, mais son acception doit être collective. À cette fin, si Control pourra charmer bien des esprits par toutes ses qualités, certains de ses défauts se font trop proéminents pour ne pas le priver du Graal tant espéré.
La narration, maladroite, entrave donc le jeu ; la carte est peu pratique ; et la fin n'en est pas vraiment une. Surtout, au-delà du plaisir du jeu simple et jouissif ressenti manette en main, Control se fait désespérément froid, incapable de susciter d'émotion réelle auprès des joueurs.
S'il faut un affect pour ériger un jeu vidéo au panthéon de ses pairs (bonjour Breath of the Wild, Undertale, Death Stranding ou The Witcher 3), Control rate de peu le coche. Mémorable, il l'est, indiscutablement ; grand, pas encore, mais jamais Remedy n'a été aussi proche de son chef-d'oeuvre.