On ne vous le cache pas : un nouveau film de fiction d'Edgar Wright, c'est considéré comme un évènement par ici. Il faut dire que le cinéaste avait réussi à remporter l'adhésion avec son excellent Scott Pilgrim. Superbe adaptation d'une bande-dessinée, matinée de culture pop et d'innovations visuelles, cette production avait à la fois su contenter les spectateurs occasionnels comme ceux nés dans la culture geek. Plus tard, Baby Driver affirmait un peu plus un réalisateur en maîtrise de son cinéma et de ses obsessions. La sortie de Last Night in Soho, thriller horrifique à tendance giallo, ne pouvait qu'intriguer. Essai concrétisé, ou véritable Soho de la foi pour ses fans ?
Un Soho dans les Sixties pour en ramener les fantômes
Quelque part dans les Cornouailles, plus précisément à Redruth, une lettre attendue parvient à une jeune fille de 18 ans. Celle-ci peut alors exulter : elle est accueillie dans une école de stylisme, à Londres. En dépit de l'appréhension de sa grand-mère, effrayée à l'idée qu'Eloise Turner puisse suive le même destin que sa mère, décidément encore bien trop présente malgré son suicide des années plus tôt, la future étudiante se rend dans la capitale britannique.
Ici, elle fait l'expérience de la vie de la grande ville, bien plus tumultueuse que dans son bout de campagne. Éreintée par ce rythme, Eloise décide de prendre une chambre indépendante, loin des affres de sa résidence étudiante. A posteriori, une mauvaise idée pour qui souhaite des nuits apaisées ; chaque soir, elle est transportée dans le Londres des années 60, où elle suit les pérégrinations de Sandie. Cette chanteuse en devenir doit se distinguer pour parvenir à son rêve.
C'est sans compter sur les personnes qui lui font obstacle, de plus en plus violemment. Un étrange lien semble lier Sandie et Eloise, laquelle, au réveil, arbore les marques de ces aventures dans les Sixties. Peut-on vraiment être sûr que le passé est bien enterré, lorsque ses fantômes semblent chaque jour se rappeler à vous ?
À lire aussi : toutes les critiques de films.
Faut-il voir Last Night in Soho d'Edgar Wright : notre avis
Par le passé, Edgar Wright avait déjà laissé transparaître son amour pour le film de genre à travers d'autres projets. Un épisode de sa série Spaced centré sur Resident Evil 2, et bien évidemment Shaun of the Dead, confirmaient un réalisateur bien au courant des codes de l'horreur. L'idée qu'il puisse concrètement aborder ce secteur à travers une oeuvre dénuée d'ironie laissait à rêver. L'attente en valait-elle la peine ?
The Neon Demon à Londres, sans audace mais avec une belle maîtrise du son
Le cinéma d'Edgar Wright se distingue par deux aspects férocement ancrés : une adaptation stylistique à son sujet, et une maîtrise audio. Pour le premier point, le réalisateur anglais avait déjà prouvé tout son sens de l'innovation à travers Scott Pilgrim, véritable bonbon pour tout bon amateur de geekerie. Plus tard, Baby Driver élaborait un cinéma moins frénétique, mais tout aussi bien pensé dans son cadre et ses couleurs.
De ce point de vue là, on ne peut que regretter l'humilité dans laquelle se complait Last Night in Soho. Seules quelques couleurs néons viendront donner des perspectives d'aboutissement à la maîtrise formelle de la caméra. À cet égard, un parallèle assez évident s'installe avec The Neon Demon, par l'excellent personnage de Death Stranding, Nicolas "Heartman" Winding-Refn. Ce long métrage évoquait aussi le dépaysement dans une autre ville à travers une jeune fille souhaitant faire carrière dans la mode.
Il semblerait que la culture des couleurs de néon, propre à la filmographie du réalisateur, ait affecté Edgar Wright. Le souci, c'est que le Britannique semble un peu timoré à l'idée de marcher sur ces plates-bandes. La discrétion, la peur de proposer des mouvements de caméra ou plans audacieux semble influencer l'ensemble du long-métrage.
En revanche, on ne pourra jamais reprocher à Edgar Wright le volet musical de son oeuvre. Atteignant son paroxysme avec Baby Driver, la coordination son-vidéo est encore une fois de belle facture. La BO, profondément ancrée dans les années 60, plaira ou non selon les sensibilités ; néanmoins, la maîtrise du mixage sonore est indéniable. Dans ces moments de pure confusion, le son semble pouvoir surgir de partout pour mieux déstabiliser le spectateur.
À lire aussi : les bons plans pour un film en DVD et Blu-Ray.
Ana Taylor-Joy, Diana Rigg et Thomasin McKenzie au service d'un récit aux préoccupations modernes
Peut-on qualifier Last Night in Soho de film de la maturité ? Si ses productions précédentes semblaient se complaire dans des histoires finalement assez innocentes, la dernière réalisation s'inscrit dans l'actualité post #MeToo. La place des femmes, aussi bien dans les années 2020 que dans les années 60, est primordiale et discutée ici.
Dans l'ensemble, le constat est assez attendu (non, ça n'était pas mieux avant, en dépit de la perception romantique que peut colporter la musique des Sixties), mais avec une certaine nuance. Cette dernière, légèrement inattendue, ne peut malheureusement pas être discutée sans risque de spoil. On s'abstiendra donc, mais il demeure que Last Night in Soho est peut-être plus subtil qu'il n'y parait au premier abord.
Pour porter à l'écran ce beau monde entre deux époques, Edgar Wright s'est entouré, comme d'accoutumée, de beau monde. Ana Taylor-Joy, révélée par The Witch puis Le Jeu de la Dame, illumine par sa présence le récit ; elle est bien entourée par Thomasin McKenzie, aperçue chez Taika Watiti (Jojo Rabbit) et bientôt Jane Campion (Day of the Dog). Matt Smith, qui pour le clin d'oeil se réfugie dans une cabine téléphonique, démontre son talent déjà aperçu dans Lost River, His House et bien sûr Doctor Who. Pour finir, Diana Rigg, dont il s'agit du dernier film, ainsi que Terrence Stamp, apportent leur expérience pour mieux faire éclore de nouvelles promesses ; c'est le cas avec Michael Ajao, dont il s'agit du second long-métrage après Attack the Block.
Réussite idéale ou Soho d'eau froide ?
De manière générale, Last Night in Soho ne semble pas à la hauteur des dernières propositions du Britannique. La réalisation, loin d'être mauvaise, paraît toutefois moins fertile en idées que par le passé. Edgar Wright semble avoir voulu faire une expérience, un test, afin de confronter son appréciation du monde de l'horreur. Peut-être trop respectueux, le réalisateur abonde en hommages ce qu'il délaisse en audace, et c'est probablement la plus grande critique que l'on puisse faire à son cinéma. Il parvenait d'ordinaire à parfaitement concilier les deux, un peu à la manière d'un Tarantino pour le goût du film et de la musique.
L'histoire s'entame doucement, lève des interrogations, avant de finalement s'ancrer dans une séquence giallo très convenue. Le dernier quart du film s'enferme ainsi dans des visions horrifiques plus ou moins frénétiques, atteignant au terme un point de non retour dans le ridicule au cours d'une scène impliquant un téléphone.
Pourtant, le constat est à contraster, ou le contraste à constater, c'est selon. Il ne s'agit, après tout, que du cinquième film de fiction d'Edgar Wright. Si Last Night in Soho ne devrait pas faire date, il permet néanmoins à son réalisateur de se confronter sans ironie ni détournement à un nouveau genre pour lui. L'essai est certes moins concluant que pour Baby Driver, dont la suite devrait être le prochain projet du cinéaste, mais il permet d'observer d'une évolution de carrière peut-être moins percutante, mais toujours intrigante.
À lire aussi : la critique de Midsommar Director's Cut en Blu-Ray.