Ari Aster est un réalisateur suivi depuis ses premiers courts-métrages ; contrairement à d'autres toutefois, il a réussi à convertir l'essai à travers un premier film salué par la critique, Hérédité, en 2018. Un an seulement plus tard, il nous revenait avec une nouvelle œuvre plus lumineuse, dans la couleur de la pellicule seulement : Midsommar.
Ce dernier a fait l'objet de deux versions : une première, sortie au cinéma, durant un peu plus de deux heures, et une seconde, Director's Cut, affichant 171 minutes au compteur. Votre dévoué serviteur n'ayant visionné que celle-ci, la critique qui suit se portera sur la version in extenso de Midsommar. Est-il recommandé de passer près de trois heures en Suède ?
Mais bon sang, de quoi ça parle, Midsommar ?
Suite à un funeste évènement familial, Dani essaie de conserver un contact à travers la réalité, notamment par le biais de sa relation avec son petit-ami, Christian. Le jeune homme, soutenu par quatre amis souhaitant écrire leur mémoire de fin d'étude, supporte mal la pression et souhaite accompagner ses camarades en Suède, dans une région reculée, afin de célébrer le Solstice d'été.
Au cours de ces quelques jours, la nuit n'apparaîtra que rarement. Dani, après quelques hésitations, suit finalement le groupe en Europe. L'accueil se fait chaleureux, mais certains éléments dénotent petit à petit. Et si les charmants autochtones composant cette société hétéroclite, à l'initiative du rite, n'étaient pas aussi sympathiques que le laissent supposer leurs perpétuels sourires ?
De la lumière parsemée de gore et de fleurs : bienvenue en Suède
Aujourd'hui, il serait légèrement caricatural, mais un tantinet vrai, de distinguer trois catégories de films horrifiques.
La première, bien représentée par les pairs de Insidious, The Conjuring, ou encore Sinister, agglomère à la fois des inspirations liées à The Grudge ou à Saw. Comprenez que la place est majoritairement faite aux jump scares, mâtinés de gore ponctuel, après avoir tissé une ambiance pesante au gré de la première demie-heure.
La seconde vague de films horrifiques modernes, bien représentée à travers le cinéma de Jordan Peele (Get Out, Us), évoque un commentaire social sur le monde qui nous entoure.
Midsommar appartient définitivement au troisième type de films d'horreurs ; plus contemplatifs, ceux-ci dépassent généralement les 120 minutes, et s'inscrivent par moments dans le drame.
Au même titre que The Witch, We are what we are, ou justement Hérédité, Midsommar prend son temps pour développer son atmosphère. Comme chez ses aînés, les rares mais percutantes scènes de tension du film montrent une violence organique et réaliste, afin de véritablement inscrire leur récit dans un réel, contrastant avec une atmosphère plus fantastique. Là où le dernier long-métrage d'Ari Aster se distingue, c'est essentiellement par ses décors.
Fi de la peur du noir, ou de ce qui regarde dans les ténèbres. Dans Midsommar, tout est lumineux et les couleurs saturées. Dans la veine d'un Shining, qui faisait l'impasse sur la mouvance des films baignés dans la pénombre, cette seconde œuvre s'inscrit d'emblée dans un questionnement complexe ; peut-on faire peur lorsque les lumières sont allumées ?
Pour le réalisateur, la réponse voit bon nombre d'hallucinations visuelles s'introduire à l'écran. La présence d'une musique omniprésente, notamment relayée par des choeurs et des cordes toujours plus intenses, apporte également à l'ambiance générale de Midsommar. Néanmoins, le film n'est pas parfait ; qu'est-ce qui pourrait l'être en près de trois heures de pellicule ?
3h moins 10 to Härga : un rituel parfois un peu trop lancinant
Il est essentiellement deux éléments qu'il est possible de reprocher à Midsommar. Le rythme, tout d'abord, est une question de choix. Du fait de sa durée conséquente, deux heures cinquante-et-une tout de même, Midsommar ne se risque pas à une intensité de tous les instants. Aster prend son temps pour installer ses personnages, ainsi que les indices quant à ce qu'il se trame véritablement à Härga.
Malheureusement, très vite la petite troupe bascule, du point de vue du spectateur, comme une caricature d'équipée de teen movie. Entre l'étudiant studieux et impliqué, l'éternel adolescent obsédé, le petit-ami pas franchement rassurant et leur confrontation à des autochtones louches, un arrière goût de déjà-vu se fait sentir.
À ce titre, il est regrettable de constater des prestations d'acteur inégales. Si Florence Pugh, incarnant Dani, est irréprochable dans ce rôle, tel n'est pas le cas de Josh, le copain démissionnaire. Son phrasé trop générique, ainsi que son regard dilettante ne parviennent pas à convaincre lors de ses prises de position. De manière générale, il est compliqué d'avoir de l'empathie pour l'un de ces protagonistes. À force d'épure esthétique, Midsommar semble traiter son sujet de loin, créant invariablement une distance avec son sujet.
Cette distance dessert l'objectif habituel d'un film horrifique : celui de faire peur. Des chocs, il y en aura, de l'hémoglobine stylisée également, et parfois une tension appréciable ; néanmoins, Ari Aster semble plus intéressé par une présentation habitée de la vision, que par l'immersion dans ce rituel suédois.
On dénote toutefois de belles preuves de bonne volonté, avec ces hallucinations permettant de percevoir les effets visuels instaurés par les drogues des personnages principaux. Les fleurs respirent, le lointain est vague et déformé, les physiques parfois défigurés.
Midsommar, le contre-point parfait à Hérédité, plus sombre et concis
Au gré des lectures entourant ce film, un élément ressort : le nom d'Ari Aster est cité de nombreuses fois - et visiblement, cette critique n'y fera pas exception. Midsommar fait davantage figure de nouvel élément à porter au CV de son réalisateur que de proposition tranchée et catégorique sur le cinéma. Par ailleurs, nombre d'éléments semblent s'inscrire dans la continuité de l’œuvre du cinéaste né en 1986.
L'utilisation de la musique, tout d'abord ; des mouvements de caméra qui se font écho de ceux vus dans Hérédité ; la thématique du rite païen, accompagné par celle du drame familial ; les enfants handicapés et angoissants ; enfin, la figure des miroirs, souvent filmés dans les deux œuvres.
Toutefois, esthétiquement, Midsommar fait figure de côté pile à la pièce d'Hérédité. Si ce dernier était sombre, le premier est coloré. Si le premier long métrage mettait en avant une réalité filmée crûment, cette nouvelle entrée de filmographie invite à l'évasion visuelle. Une seule année sépare les deux oeuvres, et il n'est pas étonnant que Midsommar constitue une sorte de réponse à Hérédité et ses thèmes, aussi bien scénaristiques qu'esthétiques.
À bien y regarder, les ambitions d'Ari Aster ont l'air davantage fixées que celles, disons, d'un David Robert Mitchell. Si celui-ci avait créé l'évènement avec It Follows, film d'horreur réussi et commentaire à l'analyse multiple, le second, Under the silver lake, s'avérait plus foutraque à de nombreux égards, mais aussi bien plus radical dans sa volonté de crier son amour du cinéma.
Concernant Ari Aster, à travers ce bref aperçu de sa filmographie, il est judicieux de penser à une progression continuelle et définie. D'abord attaché aux films d'horreur, le cinéaste s'attaquera en 2022, à une comédie noire intitulée "Disappointment Blvd." Ce nouveau long métrage, avec l'oscarisé Joacquin Phoenix, devrait donner une nouvelle corde à l'arc d'Ari Aster. En l'attente, le diptyque Hérédité - Midsommar, en dépit d'être parfait à tout point de vue laisse une note d'intention forte : il faudra compter sur ce réalisateur dans le futur.