Un film d'Alex Garland, c'est toujours, en soi, un petit événement. Quand les premières images de Men sont tombées, elles incitaient à l'enthousiasme. Retrouver l'un des réalisateurs les plus prometteurs pour un troisième long-métrage, travaillé et léché dans son esthétique, tombait à pic pour réinvestir les salles obscures. Plus dure sera la chute.
C'est quoi le pitch de poche de Men, le film d'Alex Garland ?
Harper Marlowe était amoureuse. Au gré du temps, l'homme qu'elle aimait devint toxique, usant de manipulations, chantages, et violences à son encontre. Après une nouvelle confrontation, il s'est suicidé. Il est plus que temps pour la femme de se mettre au vert, afin de faire le point sur elle-même, et de se retrouver.
Quoi de mieux que la luxuriante campagne anglaise pour cela ? Un manoir superbe, des balades plongées en pleine nature, des autochtones locaux rustres mais a priori sympathiques. Poursuivi par le souvenir du défunt, Harper va toutefois se confronter au fantôme de ses abus. Quelle est cette menace qui l'accable ?
Un nouveau film d'Alex Garland, ça se fête
S'il n'atteint pas les cimes de renommée de Christopher Nolan ou Darren Aronofsky, Alex Garland est un nom qui commence à se faire connaître dans le cinéma de genre.
Après avoir écrit le livre La Plage, adapté plus tard sur grand écran par Danny Boyle, la relation entre les deux Anglais s'est concrétisée plus tard par l'écriture des scénarii de deux films plus que recommandables. Si 28 Jours Plus Tard a largement participé à relancer la mode des zombies, on ne saurait que trop vous conseiller Sunshine, long-métrage désespéré et incandescent.
Ces deux rapprochements avec le septième art ont donné l'essor suffisant au Britannique pour se lancer indépendamment de son mentor, Danny Boyle. Sa première réalisation, Ex Machina, est un coup d'essai de maître. Labyrinthique et doté d'une esthétique particulière, il a su fédérer.
Bien plus, à dire vrai, qu'Annihilation, seconde proposition d'Alex Garland, sortie originellement sur Netflix dans notre contrée après pas mal de soucis de production et de choix commerciaux. Les deux films partageaient un goût certain pour la science-fiction intellectuelle et cryptique, où rien n'est donné, et tout est à interpréter.
Un credo qui s'est vérifié avec la mini-série Devs. Sans être transcendant, ce programme HBO cultivait un sens de l'esthétisme marqué, conjointement avec une atmosphère lourde.
Aussi, à l'annonce d'un troisième long métrage, Men, fruit de la réflexion sur les évolutions de la considération des sexes à l'ère #MeToo, on ne pouvait qu'être enthousiaste. Malheureusement, les armes qui étaient celles de Garland naguère semblent se retourner contre lui.
Men : une esthétique particulièrement maîtrisée, mais redondante
S'il est un élément qu'on ne peut enlever au réalisateur, c'est sa volonté d'asseoir une atmosphère sur ses œuvres. Les plans sont particulièrement travaillés, l'ambiance lourde à couper au couteau.
Là où la caméra excelle, c'est lorsqu'elle révèle dans des plans simples la complexité de ce qu'elle capte. Qu'il s'agisse d'arbres, de reflets dans l'eau, ou dans un long tunnel plein de ténèbres, chaque élément est propice à l'interprétation.
Cette mise en scène de premier ordre, secondée par une bande sonore oppressante emplie de chants religieux, fait son effet. Toutefois, les spectateurs ayant déjà vu d'autres œuvres du réalisateur se trouvent en terrain connu. L'évolution visuelle et sonore est moins impressionnante entre Annihilation et ce long métrage qu'elle ne le fut, naguère, entre le film figurant Natalie Portman et Ex Machina.
Sans être mauvaise, loin s'en faut, la réalisation d'Alex Garland semble légèrement stagner. Il est également possible que l'Anglais ait tout simplement trouvé son style ; néanmoins, il serait positif, alors, que le propos soit particulièrement marquant. Et c'est indéniablement là où le bât blesse.
Rêve, fantasme, ou cauchemar : qu'importe si plus rien n'a de conséquence ?
Men est indéniablement un long métrage dans l'air du temps. Tirant le fort du récit de la dualité homme-femme, et des dérives relationnelles qu'elle peut occasionner, le nouveau film d'Alex Garland suit son héroïne, Harper Marlowe, très bien incarnée par Jessie Buckley, déjà vue dans I'm Thinking of ending Things, superbe film exclusif à Netflix.
Comme dans bon nombre d'œuvres fantastico-horrifique, la ligne est trouble entre la réalité et la fiction. Très vite, Harper Marlowe, du fait de son traumatisme, devient un narrateur suspect. Ce qu'elle voit ne semble pas s'être produit, et tout pousse à visualiser dans son éprouvant périple une allégorie des relations ayant lieu entre les deux sexes.
Un constat confirmé par la présence de Rory Kinnear dans quasiment tous les rôles masculins. Avec lentille, sous des perruques, l'acteur brille en incarnant diverses personnalités, tout comme il déstabilise le spectateur. Tout semble perdu dans une lumière onirique, et c'est là où pêche, sans doute, le récit de Men.
Au gré de sa progression, plus rien ne semble avoir de contact avec la réalité. Et, par conséquent, tout ce qui se produit à l'écran, aussi choquant cela puisse-t-il être, perd de son impact. Le dernier tiers, bien plus sanguinolent, libère les chevaux. Le fallait-il pour autant ?
Jusque-là, Men se distinguait par son atmosphère oppressante ; en laissant libre chemin à ses penchants gores, il oblige le spectateur au recul, le faisant sortir du propos du long métrage. Un propos, par ailleurs, loin d'être aussi subtil que ne veut bien le penser la mise en scène classieuse.
Un propos simpliste, dissimulé sous une fausse complexité
Ex Machina est une œuvre cohérente. Mettant en scène un labyrinthe aussi bien littéral que conceptuel, ses personnages figurent telles des souris essayant, tant bien que mal, de trouver une échappatoire à leur condition. Un propos raccord avec son sujet, permettant de marquer les esprits et de fédérer autour du réalisateur.
Annihilation constitue, en contrepartie, un long métrage bien plus clivant. Partant d'un postulat simple, le film sorti sur Netflix en 2018 se révèle extrêmement complexe, nécessitant plusieurs visionnages et conversations avec d'autres spectateurs pour être bien appréhendé. Une tendance qui, si elle a pu en conquérir certains, dont le rédacteur des présentes lignes, laissait sur le côté de nombreuses personnes.
Avec Men, Alex Garland semble juguler les deux perspectives, de la mauvaise manière. À l'issue du film, dans un premier temps, la confusion règne. Quel était le message du film ? N'est-il que ce qu'il semble être dans son propos, sans nuance, ou dissimule-t-il des couches d'interprétation subsidiaires ?
En dépit de toutes les pistes de réflexion : oui, les thèmes du nouveau long métrage, et le constat qu'il impose, sont particulièrement simples. L'homme est un poison ; de nature, il est toxique, et force les femmes à se plier à sa volonté.
Un bilan simple, radical, baigné néanmoins dans une atmosphère confuse. Ici, Alex Garland semble un peu devenir l'héritier de Nolan, en partant d'un propos simple, et en embrouillant les pistes pour en ériger un récit artificiellement complexe. Au final, le spectateur n'en retire qu'une légère irritation à l'égard de la manière, et en oublie le message, ce qui est peut-être le plus grand désaveu que l'on peut faire au sujet du long métrage.