Après deux premiers films salués par la critique, Robert Eggers revient avec un nouveau long-métrage. Plus ambitieux, The Northman peut se targuer d'un casting alléchant pour convaincre le public de revenir au cinéma. Après plus de deux heures passées dans les salles obscures, quel est le bilan ; film d'ores et déjà culte, Odin autre temps ?
De quoi ça parle, the Northman de Robert Eggers ?
Le roi Aurvandill revient en ses terres, sur l'île de Hrafnsey, après avoir effectué sa tournée des littoraux, pour autant de points d'attache visités que de conquêtes à son actif. Blessé, il songe passer le pouvoir à son fils, le jeune Amleth ; c'était sans compter sur l'avidité de son frère qui le terrasse sans coup fé(n)rir. Le vil oncle, Fjölnir, prend également l'épouse du roi pour compagne, et demande la tête de l'héritier direct au trône.
Celui-ci parvient à échapper du royaume insulaire, et jure vengeance pour son père, sauvetage pour sa mère, et mort à son oncle. Une dizaine d'années passe, et le jeune Amleth, désormais devenu Viking aux cœur et muscles de pierre, va tout faire pour mener à bien sa vendetta. Attention chérie, ça va trancher.
Une tragédie emblématique revisitée à la sauce Viking HBO
Les Vikings seraient-ils les nouveaux zombies ? C'est peu dire que les récits de ce peuple insulaire, à qui l'on doit la découverte de l'Amérique, trouvent un écho confondant dans la culture pop de ces dernières années. En séries, bandes dessinées, jeu vidéo, et désormais film, jamais ont-ils été autant représentés.
Attendu de longue date par les curieux ayant découvert Robert Eggers à travers d'autres productions, The Northman trouve une dimension nouvelle dans les ambitions du cinéaste. D'emblée, le long-métrage revisite la tragédie d'Amleth, ayant servi d'inspiration à la célèbre pièce de Shakespeare. Une adaptation très libre, cependant, puisqu'au lieu de feindre la folie pour mener à bien sa vengeance, le légitime héritier Viking adopte une manière plus frontale d'affronter ses problèmes.
Le casting du film est à la mesure de l'ambition de Robert Eggers. Outre Anna Taylor-Joy et Willem Dafoe, apparaissant respectivement dans The Witch et The Lighthouse, du même réalisateur, de nombreuses têtes apparaissent au sein du récit. Alexander Skarsgård, Nicole Kidman, Ethan Hawke, Claes Bang ou encore Björk tiennent des rôles marquants dans ce troisième long-métrage.
Avec un budget de plus de 90 millions de dollars, soit 9 fois celui dévolu à The Lighthouse, et 20 fois celui de The Witch, The Northman se donne les moyens de retranscrire l'épopée du jeune prince devenu exilé, de l'exilé devenu guerrier, du guerrier devenu esclave, tout ça pour accomplir sa vengeance. Ça ne vous rappelle rien ? On y reviendra.
Une caméra maîtrisée, un rythme qui l'est bien moins
Qu'on se le dise : The Northman n'est pas à mettre devant tous les yeux. Les effusions sanguinolentes ne tardent pas à apparaître à l'écran, et certaines scènes pourraient choquer les esprits les plus sensibles. Néanmoins, pour un film mettant en avant la barbarie dont pouvaient se prévaloir les Vikings, le traitement de la violence est assez atypique.
Ne plaçant jamais d'emphase stylistique sur ce sujet, Robert Eggers la considère comme normale et nécessaire à son récit. La caméra, généralement proche des belligérants, ne cède pas à la tentation d'en faire des surhommes. Même si, bien entendu, le rôle principal donne l'impression de bénéficier d'un cheat code lui permettant d'atteindre l'invincibilité.
Ce qui surprend, en revanche, c'est la maestria avec laquelle la caméra se déplace de part en part du combat, avec une fluidité déconcertante, sans pour autant souligner ses effets. On se surprendra plus d'une fois au cours du film à réaliser que la séquence vue depuis quelques minutes était un grand plan-séquence. Sans fioriture, mais surtout sans prétention, Robert Eggers maîtrise sa caméra, peut-être davantage que son sujet.
Le souci principal de The Northman tient assurément dans son rythme. Après un début sur les chapeaux de roues, le long-métrage s'enlise dans un faux rythme jusqu'à une certaine partie de sport, et ses conséquences. Par conséquent, le deuxième acte peut agacer par sa mollesse et son incapacité à justifier les décisions de ses protagonistes. Il en ira tout autrement des dernières quarante minutes, plus enlevées, mais suggérant un terme à cette tragédie plus originale qu'elle ne le sera au final.
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Gød of Wär et Gåme of Thrönes : les influences prégnantes de The Northman
À ce titre, The Northman paraît souvent indécis. Entre épopée divertissante, réelle tragédie aux enjeux humains, et fable sur la folie de la vengeance, le film ne semble jamais faire de choix. Sa structure s'en ressent, notamment dans le précédemment décrié second acte. Dans cette perspective, le motif du Destin est trop souvent invoqué pour justifier les choix déraisonnables, voire irraisonnés de ses personnages.
À partir de la rencontre, très brève, avec le personnage incarné par Björk, la norne donne une série d'indications sur les futurs évènements à survenir. À partir de ce moment très didactique, le film lorgne par bien trop des aspects vers la structure didactique d'un jeu vidéo. Le héros doit faire cette action, puis celle-ci, afin de faire cela, et parvenir à l'affrontement avec le boss final.
De fait, ce boss final, le protagoniste a bien des opportunités de l'occire préalablement pour mener à bien sa vengeance. Le spectateur en est laissé à se questionner sur la raison de suivre les consignes de la norne, véritable fiche de route qui trahit l'ensemble de la cohésion narrative. Certes, il s'agit des ressorts de la tragédie, où chaque personnage peut à tout moment enrayer la machine infernale en faisant un choix allant à l'encontre de la fatalité. Toutefois est-il ici si visible qu'il en devient embarrassant, d'autant qu'il occasionne des scènes manquant cruellement de rythme.
Si le troisième acte est bien plus enthousiasmant, il n'est pas dépourvu de tout défaut. À ce titre, la prégnance du fantastique, au détriment d'un réalisme cru, peut interpeller.
Le surnaturel, c'est pas si fantastique que ça
Par de nombreux aspects, la patte du réalisateur se ressent dans son troisième film. Si The Witch marquait par le mystère entourant les affres rencontrées par une famille nord-américaine bannie de son village, et que The Lighthouse se faisait plus radical dans sa proposition, chacun était jalonné de scènes fantastiques empreintes de mysticisme.
L'apparition de l'irréel, cependant, pouvait être le seul fait des visions des personnages clés des précédents longs-métrages. Pour The Northman, en revanche, le fantastique semble très, trop envahissant par moments. Plutôt que de privilégier un récit réaliste et cru pour sa vendetta, Eggers la mâtine d'éléments du folklore nordique. Si, dans la plupart des cas, ses diverses manifestations peuvent là aussi se légitimer par la folie latente et la mystique inhérents au personnage principal, il en est un qui ne peut que diviser.
Quel est l'intérêt de s'équiper d'une arme qu'il est impossible d'ôter de son fourreau en journée ? Certes présentée comme le fruit d'un travail de forge fantastique, cette arme prouve à de nombreuses reprises son utilité, sans jamais démontrer à l'écran sa valeur absolue. D'autant plus lorsqu'un personnage tiers s'en empare, essaie de l'utiliser de jour, et n'y parvenant pas, la jette aux pieds du héros. Une facilité scénaristique déconcertante, qui entache la crédibilité de l'œuvre dans son ensemble.
Si le long métrage s'en était tenu à une retranscription crue, avec une pincée de fantastique vu par le seul prisme des personnages, et non objectivée, la cohésion de l'ensemble en eût été plus affirmée.
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Renversement et bascule morale : le message secret de The Northman
Comme pour ses précédents essais, Robert Eggers maîtrise parfaitement sa direction d'acteur.
Chaque interprète impliqué tire son épingle du jeu. Si l'interprétation d'Alexander Skårsgard est à la mesure des attentes que l'on pouvait avoir après avoir regardé quelques saisons de True Blood, il constitue une incarnation tout en muscles et en réserve de cette version d'Amleth. Une incarnation qui n'aurait rien à envier à Ryan Gosling, dans sa capacité à mesurer ses effets de jeu, tout en pouvant démontrer une capacité de sauvagerie à l'occasion de joutes martiales.
Anna Taylor-Joy, elle aussi, semble dans un fauteuil avec un personnage vaguement mystérieux, qui ne gênera pas les observateurs de ses précédents travaux. En revanche, les lauriers sont à tresser pour deux acteurs confirmés, jamais avares en surprise, qui donnent une autre dimension au long-métrage.
Nicole Kidman, dans ce rôle de mère trouble, excelle et parvient à saisir l'occasion de briller de mille feux lors d'une scène pivot du film. L'autre mention est à porter au crédit de Claes Bang, oncle fratricide qui se révèle d'une profondeur insoupçonnée au gré de son interprétation. Après avoir incarné, notamment, un bourgeois tout en cynisme dans le palmé The Square, le Danois marque The Northman de sa présence.
À eux deux, Kidman et Bang parviennent à instiguer un doute au spectateur. Et si The Northman n'était pas une fable sur un mystérieux héros porté sur la vengeance, mais le récit d'un fou souhaitant briser les liens de la Liberté pour retisser les fils du Destin ? Tout au long du film, la vendetta de Amleth semble justifiée ; à la fin du film, ce n'est plus tant le cas. Suivions-nous tout du long le méchant de l'histoire ?
Un film qui scindera les opinions comme l'épée d'un Viking le corps de son adversaire
Les incursions du fantastique, les arides décors de cette Islande (filmée, ici, en Irlande pour l'essentiel) et surtout le récit initial de la tragédie d'Amleth, telle que rapportée par Saxo Grammaticus ramènent à la folie du personnage principal. Simulée ou non, elle fait de lui un narrateur non digne de confiance.
Le motif de la vengeance a déjà été éprouvé de nombreuses fois à travers le cinéma. Par de nombreux aspects, The Northman rappelle un péplum déjà âgé de plus deux décennies, Gladiator. Là où Maximus, ancien général romain, se dissimulait en esclave puis gladiateur pour mener à bien son objectif, Amleth se grime en guerrier puis esclave pour venger son défunt père.
Néanmoins, contrairement au personnage interprété par Russell Crowe, le protagoniste de The Northman n'est pas noble et vertueux. Il ne souhaite pas sauver la veuve et l'orphelin, ne s'oppose pas à toute incivilité, puisqu'il baigne dans cette culture Viking. Le pillage, le viol et le meurtre font partie de son quotidien. Ce qui met mieux en perspective le rapprochement entre son père et lui, dans le dernier tiers.
Quoi qu'il arrive, The Northman est d'ores et déjà un film étalon dans la filmographie de Eggers. Plus ambitieux dans ses moyens et sa durée, il ne convainc pas toujours mais se révèle astucieux et parfois brillant. Après David Robert Mitchell et Robert Eggers, on attend avec impatience de voir ce que l'autre promesse du cinéma fantastique, Ari Aster, peut faire avec une œuvre plus conventionnelle que Midsommar.