Un test d'Alan Wake 2, c'est forcément un événement. Il aura fallu patienter treize ans entre la sortie du premier opus, et son successeur canonique. Entre-temps, le studio Remedy Entertainment a gagné en expérience.
Pour dépasser, aujourd'hui, le cadre modeste de gameplay dans lequel s'inscrivait la première aventure de l'écrivain maudit. Et faire de Alan Wake 2 une réussite incontestable, en tant que jeu vidéo, et univers connecté en outre.
Le pitch de poche d'Alan Wake 2
Avec son collègue Alex Casey, l'agente du FBI Saga Anderson enquête à Bright Falls sur une série de meurtres rituels. La petite bourgade américaine, préparant son annuelle Fête du Cerf, avait déjà été le théâtre d'évènements étranges il y a une dizaine d'années. C'est à ce moment-là que le célèbre écrivain Alan Wake avait disparu.
Se pourrait-il que les deux affaires soient liées ? Sur leur chemin, les deux agents du FBI trouvent des pages typographiées racontant leurs recherches. Font-ils partie d'une fiction ? Où commence la réalité ?
Autant d'éléments qui ne cessent de les tarauder. Ainsi que, il faut le dire, des autochtones moins avenants dans les forêts de Cauldron Lake que dans la ville de Bright Falls. Manier la lumière sera essentiel pour se délivrer des ténèbres.
Et, peut-être, retrouver Alan Wake, toujours coincé dans son Antre Noir. Lequel sait que son alter ego maléfique, Monsieur Grincement, œuvre pour supprimer tout espoir pour les habitants de cette réalité.
Conditions de test
Alan Wake 2 a été testé sur une version commerciale, sur Playstation 5. Les paramètres graphiques ont été placés exceptionnellement en mode Fidélité, car on voulait avoir une vision de ce parangon graphique que semblait constituer le jeu de Remedy. Le testeur a écrit le texte dans la foulée d'Alan Wake Remastered, en ayant une bonne connaissance des autres jeux du studio. Il s'en remercie chaque jour depuis.
La lumière au bout du tunnel pour le porte-étendard de Remedy ?
Outre ses qualités intrinsèques, la sortie d'Alan Wake 2 est un évènement.
Le premier opus, sorti en 2010 sur Xbox 360 puis 2012 sur PC avait su séduire de nombreux joueurs. Et cela, en dépit d'un gameplay bancal, jugulant le très intéressant avec le médiocre, la faute à des phases de TPS génériques et redondantes. Un constat qui s'avère toujours aussi prégnant avec sa dernière version, comme relevé dans notre test d'Alan Wake Remastered.
Alan Wake 2 est un petit miracle en soi. Pour les joueurs ayant pu s'essayer au premier épisode, c'est enfin une lumière qui brille au bout du tunnel. Pour l'écrivain éponyme également, tant la fin de l'opus paru en 2010 finissait en queue de poisson, appelant vigoureusement à une suite.
Entre-temps, le studio finlandais Remedy Entertainment a pu racheter la licence à Microsoft. Et ainsi pu consolider le fameux Remedyverse, ou plus exactement son Remedy Connected Universe (RCU), sur lequel insistait l'extension de l'excellent Control.
À ce titre, on ne saura que trop insister sur ce point : on vous recommande chaudement d'avoir quelques connaissances sur le reste de la ludographie de Remedy.
Alan Wake 2 sert de véritable catalyseur à tous leurs travaux passés. Par ordre d'importance, voilà les jeux auxquels jouer en priorité :
- Alan Wake Remastered ;
- Control avec ses extensions / Control Ultimate Edition ;
- Alan Wake 1 et 2 ;
- Quantum Breaks.
Heureusement, Alan Wake 2 est un jeu qui se suffit à lui-même. En tutoyant même certains sommets de créativité, par ailleurs.
Alan Wake 2 : double ration de frissons avec Saga et l'écrivain hanté
Cette fois-ci, l'écrivain n'est plus isolé dans sa quête de liberté. Il est accompagné d'un nouveau personnage, qui lui volerait presque la vedette. Deux récits qui se nourissent l'un l'autre, intelligemment, et aboutissent à la meilleure expérience de gameplay
FBI ou auteur : deux manières de vivre l'horreur et ses influences
Deux protagonistes, pour deux façons de vivre pleinement l'horreur qui se nimbe dans les abysses d'Alan Wake 2. Plutôt team Saga ou Alan ?
Un nouveau personnage se rajoute à la Saga d'Alan Wake
Contrairement à ce à quoi on pourrait s'attendre compte tenu du titre du jeu, Saga Anderson est le premier personnage que l'on incarne. L'agente du FBI, nouvelle venue dans le RCU, devra visiter les événements troublants que vivent les habitants de Bright Falls, la zone du jeu de base, optimisée pour enquêter sur une série de meurtres.
Pour l'assister, elle dispose d'un antre mental. Ici, elle établir des liens entre les indices découverts au cours de son investigation, par le biais de documents ou d'échanges avec les autochtones peuplant les environs de Bright Falls, Cauldron Lake, et Watery.
La collection de personnages secondaires est, comme dans le premier opus, de très bonne facture. Écouter leurs interactions ou les interroger témoigne du soin particulier qui entoure l'élaboration de l'univers d'Alan Wake 2.
En outre, la femme peut également effectuer des profilages de personnages depuis son antre mental. En réunissant suffisamment d'éléments, elle peut interroger directement leur subconscient, afin de révéler les secrets qu'ils n'osent prononcer. Ce qui amène des phases à la fois anxiogènes, et très bien mises en scène.
Étant donné son statut d'agente FBI, le gameplay de Saga Anderson est davantage porté sur les confrontations et l'exploration que l'autre pendant du récit. Ses influences tirent essentiellement du côté de True Detective et de la série allemande Dark.
Deux excellents modèles, là où le pastiche de Stephen King et de Twin Peaks du premier opus est quelque peu remisé, à l'exception des phases situées en journée.
Le retour d'Alan Wake, perdu dans le cauchemar de New-York
Il faudra attendre quelques heures avant que le personnage éponyme n'apparaisse dans Alan Wake 2. L'écrivain, toujours séquestré dans l'antre noir, arpente les rues d'un New-York fantasmé, au cœur de séquences hallucinantes et hallucinées.
En visitant les lieux, il peut redéfinir l'orientation du récit qu'il arpente. Concrètement, cela signifie que certaines pièces peuvent prendre jusqu'à cinq formes différentes, et ainsi permettre de progresser pour espérer trouver un échappatoire à son cauchemar.
L'atmosphère y est bien plus lourde, en dépit d'affrontements plus rares. Alan Wake n'est pas un guerrier, et les phases d'explorations, plus régulières, font la part belle à une ambiance à couper au couteau. Et à la créativité tous azimuts de Remedy.
C'est sans doute ici que se révèle davantage le tournant survival horor pris par Alan Wake 2. Les ombres qui hantent les ruelles et autres bâtiments de ce New-York cauchemardesque participent à l'atmosphère pesante de ces parties. Quand bien même, la plupart du temps, elles se révèlent inoffensives. Leurs murmures feront à coup sûr se hérisser les poils.
Par ailleurs, les compétences acquises par l'écrivain au cours de l'aventure sont moindres. La progression de l'arbre des capacités se fait par l'entremise d'éléments à fixer du regard.
Jeu d'ombres et d'influences pour le récit d'Alan Wake 2
Chaque personnage dispose ainsi de son propre environnement, de moyens de progression attitrés, d'armes spécifiques, et de compétences particulières. Cependant, le temps de jeu ne sera pas partagé équitablement entre les deux protagonistes.
Évoluant dans des zones plus ouvertes, Saga Anderson aura bien plus de collectables à découvrir, ainsi que d'exploration dans des décors très inspirés. Si les inévitables paysages sylvestres du premier opus sont bien présents, Remedy y inclut également de nouveaux emplacements permettant de varier les plaisirs.
En comparaison, les parties se concentrant sur Alan Wake sont généralement plus concentrées géographiquement. Les possibilités de modification de l'environnement rajoutent certes à leur durée ; toutefois, les chapitres sont bien plus rapides à passer.
Alan Wake est un auteur. Aussi ces phases privilégient la créativité et l'imagination de l'écrivain, parfaitement exploités par Remedy. Le développement de l'arc de Saga est plus classique.
S'il est possible de privilégier un personnage aux dépens d'un autre, il est fortement recommandé d'alterner entre les deux. Cela se fait de manière aisée. Dans certaines pièces, le seau du concierge Ahti, personnage déjà présent dans Control, est présent. En s'y penchant, le joueur pourra changer de protagoniste après un léger temps de chargement.
Une prouesse technique ? Oui, comme tout Alan Wake 2. D'autant que la progression avec l'écrivain sera bloquée, avant l'un des derniers épisodes, le temps que Saga n'avance elle-même sur son enquête. Les renvois entre les deux arcs narratifs sont constants, bien vus, et permettent de voir la maîtrise du développeur en termes de mise en scène.
Alan Wake 2 : une prouesse technique au service d'une histoire horrifique hallucinée
Sortant au terme d'une année 2023 pourtant riche en survival horror de qualité, Alan Wake 2 parvient à impressionner sur l'aspect technique.
Il faut évoluer dans les forêts de Cauldron Lake, à la végétation dense et menaçante ; contempler les couchers de soleil généreux en effets de lumière ; percevoir les animations faciales des personnages pour s'en assurer : jamais Remedy n'avait atteint un tel niveau de maîtrise esthétique.
Le développeur a toujours souhaité intégrer dans ses jeux des éléments filmés. Ceux-ci ont progressivement pris de plus en plus de place au sein de ces jeux.
Du roman photo de Max Payne, aux épisodes de séries de Quantum Breaks, en passant par les plans fixes de Night Springs pour le premier Alan Wake, jusqu'aux entretiens de Casper Darling, elles sont ici intégrées avec un brio qui interpellera souvent.
Davantage présentes dans les phases mettant en scène l'écrivain, ces phases réservent des moments parmi les plus mémorables du jeu vidéo en date. Préparez-vous à adorer les talk shows.
Surtout, jamais Alan Wake 2 ne privilégie la magnificence de ses décors au détriment de son propos. Pour hallucinées qu'elles soient, les séances filmées ont une signification au sein du jeu.
Tout cela est porté par une maîtrise sonore de tous les instants. Remedy a toujours excellé en cela. Avec Alan Wake 2, jamais les murmures des ombres n'ont été plus insidieux, marquants. Après avoir éteint l'écran, vous vous surprendrez à entendre des "Wake", "This is my story".
Peut-être même prononcés par vos propres lèvres.
VO ou VF ?
Il est fortement recommandé de jouer au jeu en version originale sous-titrée. Le travail de doubleurs reconnus, marquant la passerelle entre différents jeux de Remedy, y est pour beaucoup.
L'écriture trop lourde de l'écrivain hanté d'Alan Wake 2
Ironie du sort, il est un point sur lequel Alan Wake 2 pêche : son écriture bien trop lourde.
D'une part, certains personnages ont perdu des aspérités esquissées lors du premier volet. Rose, et surtout Alan Wake en font les frais. L'écrivain, antipathique, est bien plus avenant ici. Dommage d'avoir lissé ce personnage, surtout lorsque des documents mentionnent un caractère irritable et impulsif. Incarner un personnage antipathique était assez novateur à l'époque. Bon, depuis il y a eu The Last of Us Part 2.
Les documents, d'ailleurs. Remedy a toujours eu tendance à être bavard et versatile. Sans atteindre le niveau de Control, le nombre de papiers à retrouver ou à découvrir est assez incroyable.
Le pire, sans doute, seront les pages de manuscrit trouvées çà et là. Première surprise : le style d'écriture n'est pas du tout le même que dans le premier épisode. Seconde observation : jamais un écrivain ne serait publié avec cette formulation parataxique.
Surtout, les monologues d'Alex Casey, incarnation de Max Payne ont de quoi laisser. Le côté flic à la dure est peut-être trop représenté ici, et ses déclarations sur l'état toujours plus délétère de la ville dans laquelle il évolue feront aisément soupirer.
Il faudra plutôt se tourner vers Saga Anderson pour assister à de chouettes passages. La réalité dans laquelle l'agente du FBI évolue lui permet de côtoyer d'autres personnages, et de découvrir d'autres éléments connectés. Entre les publicités des frères Koskela, les émissions radiophoniques de Pat Mayne, Bright Falls ravive l'inspiration Twin Peaks présente lors des phases diurnes du premier épisode.
Le tournant survival horror parfaitement appréhendé
Alan Wake premier du nom avait tendance à lasser par la routine de son gameplay. Les trois premiers chapitres, à ce titre, désespéraient par leur aspect générique, dans des décors quasiment similaires. Surtout, les phases de tirs, tirant bien davantage du côté de l'action, n'étaient pas très bien maîtrisées.
Avec cette suite, Remedy a changé son fusil d'épaule. Désormais, l'emphase est mise sur le survival horror. Les ennemis sont bien moins nombreux que par le passé ; toutefois, une confrontation mal appréhendée peut aisément vider votre inventaire de ses munitions, ainsi que vous alléger d'une partie de votre santé.
Rassurez-vous toutefois : le jeu n'est pas spécialement dur. S'il vous vient à ne plus disposer de munitions suffisantes, c'est qu'une cache ou une réserve d'arme a été oubliée quelque part. À ce titre, notons que le cheminement dans certains paysages denses en végétation n'est pas forcément aisé, particulièrement vers la fin du jeu.
Alan Wake 2 bénéficie d'une atmosphère bien plus lourde que par le passé. Autant du point de vue visuel que sonore, tout est fait pour rendre l'ambiance anxiogène. Malheureusement, pour cela, l'éditeur mise sur des screamers légèrement intempestifs que ne dénigreraient pas certaines productions un peu faciles du septième art. Les amateurs de Conjuring et autres films de James Wan ne seront pas dépaysés par cela.
Dommage, tant Remedy auraient pu se limiter à ce que propose le jeu. Le développeur finlandais ne s'en cache pas : ses références ont évolué, et prennent désormais l'excellent remake de Resident Evil 2 comme modèle. Certains épisodes, principalement dans l'arc de Saga, feront inévitablement penser au petit chef-d’œuvre de Capcom.
Avec Alan Wake 2, Remedy livre une histoire d'horreur remarquable, mais pas parfaite
Après 13 années d'attente, les personnes intéressées par Alan Wake 2 se divisaient en deux camps.
Dans le premier se situaient les sceptiques, ceux qui pensaient Remedy Entertainment immédiatement écarté de la course à l'horreur, due à la profusion de titres de qualité sortis ces dernières années. Dans le second, ceux qui connaissent le Remedy Connected Universe, et la remarquable montée en compétence du développeur en termes de gameplay.
Chacun sera satisfait en testant Alan Wake 2. Cette suite est indéniablement meilleure que le premier épisode, se montre extrêmement généreuse et livre des séquences absolument mémorables dans le jeu vidéo. Dans le même temps, certains éléments, comme une carte peu claire pour l'arc d'Alan, ou des influences trop évidentes pour celui de Saga, pourront déplaire.
N'en déplaise : contrairement à son prédécesseur, Alan Wake 2 est un très bon jeu. Pas excellent, mais il dispose d'un atout rare dans un jeu vidéo : son charme.
Pour vous dire, l'humble testeur a passé sa dernière semaine à écouter en boucle l'excellente bande-sonore du jeu. Plus que jamais, Remedy semble avoir réussi à concilier ses envies cinématographiques et vidéoludiques pour accoucher d'une œuvre sensible, dans l'air du temps, et qui pourrait faire date à certains égards.
On regrettera seulement une fin qui appelle à une suite, comme par le passé. S'il faut attendre 13 ans pour bénéficier de cette qualité pour Alan Wake 3, on signera volontiers. Ce qui n'est pas peu dire.