Projet atypique, attendu au tournant du fait de son créateur, Death Stranding avait constitué l'une des dernières exclusivités de la PS4 en 2019. Le jeu revient avec Death Stranding Director's Cut, une version bien mal baptisée, qui ajoute quelques trucs, tout en conservant la saveur de ce titre assez unique. Que vaut le premier titre de Hideo Kojima post Konami ?
De quoi ça parle, Death Stranding ?
Le monde a été touché par le Death Stranding. Une néantisation qui a déclenché une pluie chirale sur le monde. Chacune des gouttes d'eau touchant une matière la fait immédiatement vieillir. Dès lors, le monde est confiné, remisé dans des abris de fortune disséminés sur l'ancien territoire des États-Unis.
C'est la raison pour laquelle des porteurs essaient de rétablir un semblant de cohésion parmi les gens. Leur mission ? Livrer des colis et marchandises pour rétablir les connexions entre les êtres.
Une tâche pas si aisée qu'il en paraît. Les Échoués, des spectres reliés au monde de l'au-delà, invisibles à l'oeil nu, menacent chaque sortie par temps couvert. Pire : des porteurs devenus fous agressent leurs anciens collègues. Ils ont établi des camps de MULEs, dépossédant les individus de leurs bagages.
Sam Porter Bridges, incarné par Norman Reedus, va devoir aider les Nouveaux États-Unis d'Amérique à se constituer. Pour cela, il devra relier une côte à l'autre du territoire américain. Tout cela, en tentant de ne pas périr sous les coups d'une mystérieuse organisation aux sombres desseins.
Conditions de test
Le jeu avait déjà été pratiqué dans sa version initiale à sa sortie, en novembre 2019. Des années après, le rédacteur s'est attelé à parcourir à nouveau Death Stranding, en version Director's Cut cette fois, sur PS5. Cette version commerciale a été effectuée en privilégiant les graphismes.
Kojima a-t-il encore accouché d'un bijou avec Death Stranding ?
S'ils sont de plus en plus reconnus, les créateurs sont rares dans le jeu vidéo. Indéniablement, Hideo Kojima fait partie des précurseurs en la matière, aux côtés de Miyamoto, Warren Spector, Peter Molyneux, Sakaguchi ou encore Tim Schafer, pour ne citer qu'eux.
Après avoir conçu la saga Metal Gear, culte de chez culte, et réalisé d'autres jeux fort appréciables (Boktai, Zone of the Enders), et surtout d'avoir révolutionné le jeu d'horreur avec une seule démo, P.T., le papa de Solid Snake a été mis à la porte par Konami, son entreprise historique.
Ne comptez pas sur cet homme pour se décourager. Il n'est pas plus compétent en la matière que dans la synthèse de lignes de dialogue. Le bougre a très vite rebondi, après une première annonce concernant sa future production, en exclusivité temporaire chez Sony.
Deux ans plus tard sortait donc Death Stranding. Novembre 2019 accueillit ce jeu, et quelques mois plus tard, la pandémie du Covid-19 isolait les individus les uns des autres. Puisqu'on vous dit que Hideo Kojima est visionnaire.
Si l'on peut voir en Death Stranding un jeu faisant l'apanage de la quête Fedex, critiquée dans la plupart des J-RPG, on... aurait raison. Oui, le principe du jeu pourrait aisément se résumer simplement à ça. Pourtant, derrière ses atours d'open-world générique, jusqu'au-boutiste et simpliste, se dégagent une complexité et une subtilité qui, des années après, fascine.
Profitant de cette version Director's Cut de Death Stranding, il s'agit de revisiter une œuvre d'ores et déjà culte du média.
Bavard, vous avez dit bavard ? Comme c'est étrange
S'il est un reproche communément adressé aux jeux d'Hideo Kojima, c'est leur aspect loquace et volubile. À l'excès, le créateur semble vouloir décortiquer et préciser chacune des lignes de dialogue écrites. Ce qui, généralement, alourdit grandement le rythme de ses œuvres.
On pensait le Japonais vacciné, grâce à un Metal Gear Solid V : The Phantom Pain mettant bien davantage l'accent sur le gameplay que les bavardages intempestifs. Sans atteindre l'incomparable lourdeur de MGS 4 : Guns of the Patriots, Death Stranding pioche, de prime abord, dans les pires tendances du créateur.
Le prologue du premier titre de Kojima Productions se passe dans une zone à part. Comptabilisant à peu près une demie-douzaine d'heures pour la parcourir en premier lieu, cette région sera une véritable confrontation pour les joueurs souhaitant... jouer. Chaque livraison est aisément perturbée par l'intervention du Codec, d'une cinématique un peu longue, ou d'une mission impromptue.
Heureusement, la tendance s'amenuise par la suite, bien que le jeu puisse, ponctuellement, retomber dans ses travers. Néanmoins, le prologue de Death Stranding fait figure d'obstacle n'étant pas tout à fait représentatif du concept du jeu, et de la liberté octroyée par la suite au joueur.
Bien entendu, les joueurs auront toujours de quoi se documenter. Entretiens, pièces d'informations, mails intempestifs jalonneront le parcours des Sam du monde entier. Néanmoins, leur lecture est complètement optionnelle.
Death Stranding : un lien avec le joueur qui ne tient qu'à un fil
Si Death Stranding a interpellé à sa sortie, c'est en partie dû à sa relation au jeu en ligne. Plutôt que de proposer un monde multijoueur, le jeu met en avant une connexion éprouvée. Les fonctionnalités sont multiples. Sam pourra ainsi participer à la rénovation de routes, utiliser des infrastructures venant d'autres joueurs, réhabiliter ces dernières, ou transporter les marchandises.
Bien entendu, la réciprocité est de mise. Aussi le joueur se verra-t-il comblé par des "likes" lorsque d'autres personnes utiliseront ses édifices. Par ailleurs, il ne sera pas rare de retrouver des marchandises perdues, par exemple dans des camps de MULEs ou près d'Échoués.
Attention toutefois : pour repérer les installations d'autres joueurs, il faudra d'abord établir un lien suffisamment fort avec le "maître" la région. Pour cela, les livraisons sont le moyen essentiel pour se connecter aux autres.
Cette thématique du lien se tient tout au long du jeu, qui réussit parfaitement à conjuguer sa forme et son fond. L'objectif de Sam Porter Bridges, après tout, est de réunifier les Nouveaux États-Unis d'Amérique, en se rendant d'abri en abri pour acheminer ou entamer des livraisons.
Plus le lien se raffermit avec des interlocuteurs, davantage le degré de connexion progresse. Au gré de cette évolution, le joueur se verra remettre des avantages plus ou moins intéressants. Délivrance de matériaux pour confectionner les routes ou créer des infrastructures ; matériel et équipement supplémentaire ; innovations technologiques. Cette course au lien se fait des plus valorisantes, et incite le joueur à mener le plus de livraisons.
Un périple solitaire, aidé par les autres porteurs en ligne
Il faut bien le dire : si Death Stranding se veut une certaine vision de la solitude, le jeu en ligne tranche radicalement avec la sensation initiale. Une fois la connexion établie dans une région du jeu, le nombre d'installations et d'aides fait davantage penser à un Disneyland du pauvre qu'à un territoire jamais touché par la main de l'homme.
L'idée est bonne, et soulage à de nombreux égards. À terme, le joueur peut concilier les infrastructures des autres porteurs en ligne avec les siennes. Quel plaisir à optimiser son réseau chiral, en plaçant opportunément ses tyroliennes, routes et échelles !
Néanmoins, par ce biais, le jeu devient presque trop facile pour son propre bien. Jamais la solitude de Norman "Sam Porter" Reedus n'est plus en péril qu'en regardant les champignons créés par l'urine de ses congénères humains. De fait, une ambivalence se fait légèrement sentir en parcourant le jeu.
N'en demeure pas moins que dans son concept et sa mise en pratique, Death Stranding reste une œuvre puissante, atypique, et profondément hypnotisante. Une fois les parcours optimisés, votre avatar enchaînera les livraisons les plus complexes sans même broncher. Seule la découverte d'un nouveau territoire, comme les montagnes enneigées, peuvent entraver la progression. Avant que le terrain ne soit une fois de plus amplement maîtrisé, et la suite du jeu se dérouler sans encombre.
Une critique cachée du jeu vidéo open-world générique ?
Jusqu'alors, Hideo Kojima restait, certes sur son projet Silent Hills avorté, mais surtout la masterclass de gameplay représentée par Metal Gear Solid V : the Phantom Pain. Ludique, intéressant, le dernier opus en date des aventures de Snake faisait la part belle au bac à sable, avec des missions se répétant, mais jamais répétitives grâce aux diverses modulations du joueur face aux nouveaux obstacles.
Ce qui choque d'emblée dans Death Stranding en contrepartie et son profond désaveu de la confrontation directe. Qu'il s'agisse des combats de boss, aux combats contre les MULes, jamais le système de combat n'exhale la satisfaction. Contrairement aux méthodes d'infiltration, profondément plus valorisantes.
Il s'agit de l'une des critiques principales adressées à Death Stranding. Les combats sont nuls, le jeu est un walking simulator. Lorsqu'on connaît l'expertise du bonhomme derrière en matière de combat, le constat ne peut qu'interpeller. Il doit y avoir une raison à cela.
Oui, Hideo Kojima a choisi de valoriser la connexion, le lien avec les autres, à tel point que les affrontements et confrontations directes sont purement nivellées vers le bas. Un choix radical, qui s'oppose malheureusement aux ajouts de la Director's Cut, critiquée ici.
Qu'apporte cette version director's cut de Death Stranding ?
Initialement, Death Stranding était une exclusivité Playstation 4. Quelques années plus tard toutefois, le jeu ressortait sur PC, profitant au passage de nombreuses améliorations. Le tout a été remodelé, ajouté, pour confectionner Death Stranding Director's Cut.
Une appellation qui peut faire jaser, jusqu'à Hideo Kojima directement. Le réalisateur du jeu a lui-même désavoué cet intitulé, arguant que tout ce qu'il avait souhaité mettre initialement dans le jeu, il l'avait mis. N'est pas le jeu amputé qu'est Metal Gear Solid V qui veut.
Par conséquent, toutes les modifications et compléments ajoutés dans cette version sont du supplément, et doivent être considérés comme tels. Et force est de reconnaître que ces bouleversements minimes, s'ils n'influent pas grandement sur le jeu en lui-même, perturbent profondément la cohésion de l'ensemble.
Affronter indirectement les autres joueurs dans des courses automobiles ? Disposer de nouveaux équipements assez nuls ? Essayer ses armes dans des salles dédiées ? Voilà qui peut questionner, lorsqu'on sait que le thème même de Death Stranding est de privilégier la corde pour lier, davantage que le bâton pour frapper.
La version Director's Cut de Death Stranding n'est aucunement grandie par ses ajouts. Seules les caractéristiques techniques du jeu pourront faire la différence, et permettre d'y rejouer, pour qui a initialement terminé le jeu en version standard.
Néanmoins, qu'on ne s'y trompe pas. Des mois après la dernière livraison, le sentiment de liberté procurée par cette merveilleuse simulation de randonnée donne des envies de retours en territoire échoué.