Après un renouveau plébiscité en 2018, la franchise first-party la plus fidèle aux consoles Playstation revient. Avec God of War Ragnarök, le studio Santa Monica possède des ambitions hors normes. Critique d'un jeu vidéo qui assume de voir grand, quitte à y laisser quelques plumes de corbeau au passage.
De quoi ça parle, God of War Ragnarök ?
Le Dieu de la Guerre et de la Colère grec, Kratos, s'est installé depuis des années en territoire nordique. Ici, il a fondé un foyer. Après le décès de sa bien-aimée, il a entrepris de disperser ses cendres au plus haut sommet de ces terres. Ce périple fut l'occasion de mieux connaître son fils, Atreus, et de lui inculquer les rudiments des responsabilités divines.
Également de frayer avec le panthéon local, en se confrontant notamment à Baldur, fils d'Odin et Freya. Cette dernière, suite à la mort de son petiot, cherche à prendre sa revanche. Aura-t-elle le temps de la mettre à exécution, alors que le Ragnarök, la fin de toute chose, apparaît à l'horizon ?
Les dieux Ases, Odin et Thor, établissent enfin contact avec Kratos et son engeance. Ainsi débute God of War Ragnarök, un jeu qui vous emmènera dans les Neuf Royaumes d'Yggdrasil.
Conditions de test
Le jeu a été testé sur Playstation 5, à partir d'une version commerciale achetée avec nos propres deniers. Les paramètres graphiques ont été mis sur "Performances" ; vous y êtes habitués, on préfère ici le 60 FPS au ray-tracing.
La suite d'une saga plébiscitée, sur quatre générations de Playstation
Contre toute attente, Kratos est aujourd'hui le héros le plus fidèle à la marque Playstation. Présent sur quatre générations de console Sony, le Dieu de la Guerre grec s'est taillé une part de choix au panthéon des personnages Sony. Une fierté dont ne peuvent se prévaloir les pairs de Nathan Drake, Joel et Ellie, ou encore Sir Daniel Fortesque.
Si God of War premier du nom, jusqu'au troisième, ainsi que les épisodes portables, prenaient place dans la Grèce Antique, la donne a changé avec le simili reboot de 2018. Désertant les terres méridionales, Kratos s'installait au nord de l'Europe mythologique.
Désormais, c'est bel et bien dans les neuf royaumes d'Yggdrasil, l'arbre-monde, que pourront se rendre Kratos et Atreus. Les principes cinématographiques du précédent jeu sont réinstaurés. God of War Ragnarök propose un plan séquence durant sur la totalité de l'aventure.
Plus riche, plus complet, ce nouveau périple en terres nordiques s'annonce comme le chant du cygne de la PS4, et le passage de témoin avec la plus récente Playstation 5. Ça tombe bien, la filiation et l'émancipation, c'est exactement le thème de God of War Ragnarök.
Le nouveau parangon graphique des consoles Playstation
Dès sa sortie en 2018, God of War faisait office de parangon de la réalisation technique sur Playstation 4. Aujourd'hui encore, il tient la dragée haute à bon nombre de titres plus récents. À ce titre, les images de sa suite, qui nous intéresse ici, rassuraient : les studios Santa Monica ne dérogeaient pas à leur expertise graphique.
Manette en main, le constat se fait plus prégnant que jamais. S'il ne révolutionne pas la charte graphique du précédent volet, God of War Ragnarök est tout simplement magnifique. Les panoramas à travers les neuf mondes se suivent, sans jamais véritablement se ressembler, et on laissera souvent de côté l'action pour se complaire dans les environnements proposés.
Svartalfheim et Vanheim profitent très clairement de ce très sensible upgrade graphique. Comparer Helheim avec sa précédente représentation nourrit favorablement le bilan. Ce n'est pourtant pas là où le jeu impressionne le plus.
Si les combats demeurent particulièrement lisibles en dépit des déluges d'effets graphiques, c'est bel et bien les visages qui i parviennent à captiver l'attention des joueurs. Superbement modélisés, et sans toutefois être photoréalistes, ils parviennent à capter un semblant d'humain.
Et heureusement, tant la caractérisation des personnages est ici plus primordiale que jamais pour saisir l'ampleur du récit.
La communauté du dieu de la Guerre
Plus vieux, plus fatigué que jamais, Kratos cède graduellement la place à d'autres personnages. Dans cette perspective, il faut noter que l'immense plan séquence qui compose le jeu suit désormais différents protagonistes. Si certains sont jouables, d'autres bénéficieront d'un suivi le temps d'une action, d'une cut-scene.
Et grands dieux vikings, que cette disposition donne de l'air à l'aventure. Les interactions entre chaque personnage sont parfaitement travaillées, participant à une cohésion de groupe étonnante. La mise en scène est en parfaite adéquation avec ce nouveau credo, déjà initié dans le précédent opus.
Des boutades de Mimir à son "frère" grec, jusqu'aux encouragements d'un certain dieu de la guerre nordique, en passant par les caractères opposés de Sindri et Brokk, les deux forgerons nains : tout cela participe activement à une ambiance collégiale davantage bon enfant que naguère.
Bon enfant ? Oui. Ce que God of War gagne en interactions et en humour, il le perd, logiquement, en sérieux. Jusqu'à pouvoir paraître, parfois, lourdingue. Ce sentiment, heureusement, n'intervient que peu souvent. La plupart du temps, ces interactions permettent de rendre une routine de gameplay confortable, là où elle eût pu être indigeste autrement.
Et les bugs dans tout ça ?
Certes, le jeu a été testé lors des premières semaines après sa sortie. Toutefois, un nombre étonnant de bugs s'est manifesté. Certains empêchaient tout simplement la complétion de quêtes, obligeant les joueurs à revenir à un point de contrôle antérieur. D'autres fois, ces soucis techniques empêchaient les ennemis d'avancer, d'attaquer. Gageons que la chose sera corrigée d'ici sous peu.
Le héros du jeu est-il devenu un poil à Kratos pour les développeurs ?
Un élément pourra troubler les aficionados de la série au gré de leur périple. Plus que jamais, Kratos semble être en retrait de l'histoire. Celle-ci, se faisant parabole du passage de relais entre générations et de l'émancipation des jeunes êtres, met désormais en avant de nombreux autres protagonistes.
Quelque part, c'est un peu la même évolution que la saga James Bond. Tenant auparavant seul le haut de l'affiche, le célèbre agent 00 faisait la part belle à une escouade d'experts dans ses derniers long-métrages. Il en va de même ici.
Auparavant solitaire, isolé, et trop en guerre contre le monde pour établir des amitiés, Kratos est plus que jamais tributaire des autres pour mener à bien ses objectifs. S'en dégage une galerie de personnages très réussis au demeurant, mais qui laisse une impression étrange.
Kratos est-il encore souverain en son propre jeu ? Parfois, God of War Ragnarök ne semble que faire de son divin antihéros. Comme s'il n'arrivait pas totalement à se fondre dans ces mondes toujours plus enchanteurs, beaucoup plus proches de l'heroic-fantasy (que la mythologie nordique a beaucoup inspirée), que de ses racines grecques.
Finalement, outre la filiation, les thématiques de l'exil et de l'immigration auraient pu avoir ici leur place.
Ragnarök my world du contenu
Aux côtés de la franchise Horizon, God of War est indéniablement la licence sur laquelle Sony table pour installer la Playstation 5 au cœur des propos. À tous les niveaux, l'itération Ragnarök enrichit le contenu du précédent jeu, jusqu'à parfois en faire trop.
Kratos, l'aventurier de l'Yggdrasil perdu
Alors que seuls quelques mondes étaient présents dans le reboot, c'est désormais les neuf royaumes d'Yggdrasil qui sont à parcourir. Exit le pont de bifrost ; désormais le passage entre les univers s'effectue par le biais de portails disséminés au gré des niveaux.
Le jeu tisse de vrais parallèles avec les précédents opus. Rares sont les royaumes à ne pas avoir changé ; toutefois, tous bénéficient d'une atmosphère plus travaillée. Helheim et Muspelheim sont très proches de leurs précédentes représentations. Il en va tout autrement de Midgard, principale victime de l'hiver annonçant le Ragnarök.
À l'exception de Niflheim, zone dédiée aux corbeaux d'Odin, Asgard ou Helheim, les mondes bénéficient d'une large carte, avec parfois des zones parfois complètement optionnelles. Préparez-vous à des tonnes de quêtes en bonus, pour la plupart très bien intégrées, pouvant être spécifiques au monde comme trans-royaumes.
Néanmoins, on ne pourra que déplorer l'absence de notre petit chouchou du reboot. La composante rogue-lite présente dans Niflheim naguère, a ici entièrement disparu. En revanche, les épreuves un peu bidon de Muspelheim sont présentes, avec un twist, plus redondant que jamais.
La définition de RPG ? Ragnarök Pour Gamer
God of War instaurait une nouvelle flèche à son arbre de compétence : une dimension RPG. Un peu survolée, celle-ci se fait beaucoup plus importante à l'occasion du Ragnarök.
Les joueurs ont trois éléments d'armure à améliorer, et deux éléments par arme. N'allez pas chercher le set-up parfait de manière absolue durant votre première excursion ; chaque équipement est davantage adapté à un style de jeu en particulier.
L'ajout de l'amulette, avec ses neuf emplacements à débloquer, concrétise cette dimension. Celle-ci, un peu dure à assimiler, permet d'ajouter des bonus adaptés aux méthodes de combat de chacun. Vous préférez axer votre évolution sur la Vitalité ou les Runes ? La Force et la Défense pures ? Choisissez soigneusement vos atouts pour pérenniser les futurs affrontements.
La surcouche RPG, si elle demeure appréciable, n'en demeure pas moins un peu forcée. D'une part, elle peut ralentir grandement l'expérience du jeu, avec ce temps passé dans les menus. D'autre part, elle n'autorise pas vraiment de modifier son compagnon d'arme.
Et, on ne reviendra jamais assez sur cet impair déjà présent dans le premier God of War. Pourquoi diable les menus ne sont-il pas diégétiques, à la manière d'un Dead Space, pour filer davantage encore le plan séquence ?
La routine nordique dans les boucles de gameplay
God of War Ragnarök est-il agréable à parcourir ? Assurément oui, et cela même dans ses extrémités les plus poussées. Est-il redondant ? Malheureusement, là encore : oui.
En bonne position dans la cours au GOTY 2022, la dernière aventure de Kratos et Atreus se confronte à un sacré rival avec Elden Ring. Cependant, un élément fait pencher la balance en faveur de la production From Software.
Peut-être plus souvent que de raison, God of War Ragnarök aura pu paraître trop souvent enfermé dans une boucle de gameplay très routinière. Jusqu'à lasser, parfois, lorsqu'il s'étend plus que de raison dans ses passages les plus linéraires. En dépit d'un monde vaste à explorer, le jeu de Santa Monica n'est pas un open-world.
Aucun problème à cela, compte tenu de sa justesse narrative, dramaturgique et de ses qualités de mise en scène. Toutefois, l'enchaînement exposition / combat / énigmes / parlotte / énigmes / combat / cutscene / parlotte peut lasser.
God of War Ragnarök semble victime d'un trop grand confort à ce sujet là. Trop souvent, le rédacteur de ces lignes aura pu lâcher la manette durant une longue session. Jamais l'idée ne l'avait même traversé au cours de l'exploration de l'Entre-terre d'Elden Ring.
Le Dieu de la Guerre oublie ses armes durant le Ragnarök
Si une grande place est prise par les énigmes et la narration, God of War Ragnarök ne fait pas oublier l'art martial à ses protagonistes. Les combats sont dans l'ensemble réussis, proposant des challenges à difficultés variables. On pourra ainsi s'arracher les cheveux sur certains affrontements contre les Berseker, totalement optionnels cela dit.
Affublé de ses, au moins, deux armes, Kratos reste un monstre de guerre. Les combos s'alignent facilement, avec un chouïa moins de possibilités que dans le précédent jeu toutefois. En dépit de la surcharge d'effets graphiques à l'écran, la production de Santa Monica reste fluide, et surtout, à tout moment, claire.
Toutefois, l'on pouvait par le passé pester contre les volte-faces à 180° intempestifs pouvant faire rager. Ce n'est plus le cas ici, mais un mal en remplace un autre. C'est maintenant le système de lock qui semble, hum, volatile pour ne rien dire d'autre.
Trop souvent, Kratos aura tendance à faire face au mauvais adversaire. En somme, lors des combats singuliers, les joutes se font très agréables. Avec plus d'un ennemi, ce n'est pas si évident du tout.
Sans rire, on spoile bien par ici
Avis aux personnes n'ayant pas encore joué au jeu, ici, ça va spoiler. On vous recommande donc fortement de passer directement à la note si vous n'avez pas dans l'idée de connaître certains tenants et aboutissants de God of War Ragnarök avant d'y jouer.
Psychologie et guerre font bon ménage dans God of War Ragnarök
Si pendant l'essentiel de l'aventure, le jeu de Santa Monica brille, certains moments laissent un peu perplexe. Dans l'aspect humain, tout d'abord, où le triple A alterne le bon et le moins bon. Si certaines réactions paraissent authentiques, d'autres le sont beaucoup moins.
À ce titre, l'attitude d'Atreus après la mort d'un des membres du groupe est assez mal traitée, trop abrupte. Il eût sans doute été bon d'effectuer une ellipse, ou au moins de dormir un coup avant d'aborder cette thématique du deuil.
En contrepartie, la famille de Thor, avec Thrüd et Sif, se révèle parfaitement touchante dans ses thématiques. Apercevoir des antagonistes aussi humains est un petit tour de force, que l'on n'avait pas vu depuis, tiens, The Last of Us Part 2.
Et que dire d'Odin, loin de l'image que l'on pouvait se faire du Père de Tout ? Autant dans l'interprétation que dans la caractérisation, l'ennemi principal de God of War Ragnarök est réussi, quasiment de bout en bout, à un twist "un poil" forcé sur la fin.
Quelques incohérences émaillent le parcours de Kratos et son fils Atreus
Par ailleurs, des questions restent en suspens, certaines issues de l'épisode 2018, d'autres spécifiques à cet opus. Dans le reboot, qui donc a soufflé dans le cor du serpent, à Midgard, alors que Kratos et son fils se promenaient sur le lac des neuf ? Comment le dieu grec a-t-il fait pour rejoindre les terres nordiques ? Pourquoi peut-on geler de l'eau en mouvement, et pas des petites flaques ?
Et, bon sang, qui écrit dans le Codex ? Si auparavant cette fonction était dévolue à Atreus, allant de pair avec les dessins, ici, les rédacteurs semblent ci Kratos, ça Mimir, ou encore là Atreus.
Certains défauts issus du précédent God of War sont ici réitérés. Il peut paraître rageant de voir Kratos se hisser au-dessus d'une falaise et être pitoyablement bloqué par un petit talus de terre, obligeant à emprunter un autre passage.
On dira que c'est ici le prix de l'excellence en matière de mise en scène. S'il demeure linéaire, la production de Santa Monica lorgne plus que jamais sur l'open-world, ou plus justement le metroidvania.
Mais parfois, à se vouloir trop riche, God of War Ragnarök se disperse dans le chaos de l'Apocalypse.