Nouveauté de l'été 2022 chez Netflix, The Sandman a créé l'évènement. Avec un budget conséquent, l'adaptation du comics et roman graphique de Neil Gaiman est-elle une réussite ? Réponse éveillée en compagnie de Morphée.
De quoi ça parle, la série Netflix : The Sandman ?
Retenu captif par un magicien britannique durant un siècle, Morphée, l'Infini relié au Rêve, est décontenancé une fois libre. Le monde a changé, et peut-être lui aussi, et surtout, ses outils lui manquent.
Afin de redonner aux rêves des humains leur lustre d'antan, il va devoir reconquérir et reconstruire son royaume onirique. Pour cela, de nombreuses épreuves s'opposent à lui. Heureusement, il peut compter sur les êtres peuplant ses terres, et certains alliés de choix.
Songe au cœur d'une longue adaptation pour The Sandman
Neil Gaiman est, au même titre que Alan Moore, un auteur qui a la côte pour les adaptations. Les deux Britanniques connaissent cependant des fortunes diverses pour les œuvres dérivées de leurs comics et romans graphiques.
Si le second nommé s'est très vite éloigné des adaptations de Watchmen, V For Vendetta, From Hell ou encore la Ligue des Gentlemen Extraordinaires, le premier s'est davantage impliqué dans les adaptations.
Pourtant, retranscrire la poésie noire, la narration onirique de The Sandman n'était pas une mince affaire. Bon nombre de personnalités s'y sont cassé les dents, depuis la publication du comics de 1989 à 1996.
Après une dernière tentative de long-métrage avec Joseph Gordon-Levitt à la baguette, c'est finalement Netflix qui a hérité des droits pour une série TV événement à l'été 2022.
Après la prometteuse mais au final chaotique série American Gods, Neil Gaiman s'implique à nouveau dans cette adaptation. Pour lui laisser toutes ses chances, il s'entoure de la fine fleur en la matière : nul autre que David S. Goyer. L'homme à la baguette de la trilogie The Dark Knight, mais aussi, oui, la série TV Fondation, participe à l'éclatant succès de la série Netflix.
Du comics à la série : un rêve d'adaptation
Relire The Sandman en parallèle de la série TV impose certains constats. Oui, l'adaptation Netflix est fidèle. Bigrement fidèle, et tout aussi intelligente. Les acteurs sont soigneusement choisis, et les quelques différences sont entièrement justifiées.
La première saison de The Sandman s'attarde sur deux arcs du roman graphique : Préludes et Nocturnes, et La Maison de Poupées. Si le premier met en scène Morphée à la reconquête de son Royaume, après une centaine d'années passée en captivité, le second le confronte à un Vortex de Rêves.
Surtout, la série a l'intelligence de clore chaque arc par des climax de belle intensité, suivis par des épisodes basés sur de courtes histoires. À ce titre, si le cinquième épisode brille par une noirceur rarement vue dans une série TV (coucou Utopia UK), le sixième fait la part belle à l'émotion à travers deux histoires adroitement liées.
On pourra peut-être reprocher à la série une seconde moitié moins convaincante. Néanmoins, sachons raison garder ; l'arc adapté n'est pas beaucoup plus intéressant dans le comics. Heureusement, le reste de l'œuvre papier présage de belles choses pour la saison 2.
Tout cela participe à une ambiance à part, assez unique grâce à un constat. Contrairement à bon nombre de séries, The Sandman ne se pose pas la question de l'enjeu. Ici, il n'est pas vraiment question d'élucider un mystère posé d'emblée. Plutôt de suivre Morphée à travers différentes étapes de son règne onirique.
Il faut accepter de se laisser porter, et surprendre, au gré des 11 épisodes qui composent cette saison. Devant l'alternance de tonalités, les surprises que réserve l'adaptation, y compris aux connaisseurs de The Sandman, c'est une réussite éclatante.
Une réalisation qui s'endort, en dépit d'un budget pharaonique
The Sandman est la série la plus onéreuse (et onirique) de Netflix. On parle ici d'un budget de 15 millions de dollars par épisode.
Et cela se voit. Les effets spéciaux, sans être incroyables, sont convaincants ; les visions de rêves parfaitement adaptées à l'écran. Indéniablement, sur le plan artistique, il s'agit de l'une des plus grandes réussites du service de streaming vidéo. À tout point de vue, The Sandman est supérieur aux précédentes tentatives de Netflix en matière de déclinaisons de comics.
Pourtant, comme Locke & Key, Umbrella Academy ou Sweet Tooth, The Sandman souffre d'un gros défaut. Si le budget, pharaonique, s'étale sur presque tous les plans, la réalisation est aux abonnés absents.
Il n'y a pour ainsi dire aucune velléité cinématographique. Pas de plan révélateur des tensions dans certaines scènes ; ni de mouvements de caméra audacieux et pertinents.
On ne cessera de regretter l'absence d'idées de ce côté-là pour Netflix globalement, et pour The Sandman particulièrement. La thématique de l'errance dans les rêves s'y prêtait pourtant parfaitement.
Imaginez un instant la série filmée avec la même science du cadrage et du montage que ce que Antidisturbios, Braithwaite, American Gods - dont le premier épisode est un modèle du genre - ou encore Sharp Objects proposent ?
The Sandman est généreux dans son budget et dans sa représentation artistique. Il est très pauvre, en revanche, en idées de réalisation.
SOS Woke ? Non, le comics The Sandman était suffisamment avant-gardiste comme cela
Évidemment, comme chaque adaptation, The Sandman a été la cible de critiques liées à quelques choix. Certains s'insurgèrent contre le passage de Lucien, d'un homme blanc à une femme noire ; de même, la Mort devient noire ; et encore, va-t-on reprocher à Morphée de ne pas être assez pâle ?
Sans compter, bien entendu, les sensibilités effarouchées à l'idée que les communautés LGBTQ soient à ce point présentes à l'écran.
C'est bien simple : ceux qui vilipendent ces choix sont loin, très loin d'avoir la moindre idée de ce que raconte The Sandman, le comics. L'œuvre originelle, dont la publication a commencé en 1989, était résolument avant-gardiste à cet égard.
Neil Gaiman et ses comparses abordaient avec subtilité et modernité bon nombre de thématiques prônées aujourd'hui. Notamment, pour ce qui est de deux personnages transsexuels, la distinction entre identités de genre et identités de sexe.
Par ailleurs, aucun choix de réadaptation ne va à l'encontre de la cohésion de la série. Les actrices choisies pour jouer Lucienne, la Mort, ou Lucifer incarnent brillamment leurs personnages.
À la limite, seul le recast de John en Johanna Constantine peut attrister ; l'adaptation se prive dès lors d'une filiation établie avec l'univers DC Comics. Cela est un choix, avant tout lié à certains droits, et Jenna Coleman s'en tire par ailleurs admirablement.
Il s'agit, à plus d'un égard, d'une critique qui n'a absolument pas lieu d'être. Pire ; les commentateurs en faisant mention n'ont pas saisi la teneur du propos de The Sandman.
Dans les rêves, on a le droit d'être qui l'on est vraiment.
Un petit mot sur le casting, très réussi dans son ensemble
Outre ces choix de casting qui pourront en attrister certains (à tort, une nouvelle fois, mais les sensibilités des uns et des autres...), The Sandman peut se targuer d'une distribution de choix.
Le personnage principal est incarné par Tom Sturridge. Dans le comics, Morphée est un être à l'esthétique particulière. Entité pâle aux yeux brillants, dotés d'une figure chevaline, il paraît aux humains à la fois repoussant et séduisant. Constamment froid dans son attitude, distant dans ses relations, et hautain dans son règne, il n'est pas un "gentil". Il est, simplement.
L'acteur apparu notamment dans Velvet Buzzsaw réussit parfaitement à retranscrire tous ses aspects de rêve. Dans son périple, il se fait notamment assister par Matthew, un corbeau naviguant du rêve à la réalité. Et c'est peut-être là où le bât blesse.
Patton Oswalt est horripilant, sa présence un peu trop constante, certainement pour arracher quelques sourires et divertir un public au cœur d'un conte poétique assez avare en sollicitations humoristiques. Le choix se défend, mais peut devenir insupportable au terme des onze épisodes.
Heureusement, le reste du casting est irréprochable. D'un Corinthien suscitant à la fois l'horreur et la sympathie chez le spectateur, jusqu'à un John Dee plus sensible et bien écrit que dans le roman graphique, jusqu'à Désir, fascinant dans son incarnation ; tous les acteurs et actrices impliqués participent à ce qui s'apparente comme la meilleure série originale de Netflix.