Pas forcément habitué à l'exercice, mais loin d'être néophyte pour autant, Steven Spielberg s'attaque à un nouveau remake. Cela faisait des années qu'il souhaitait mettre au point une nouvelle mouture de sa comédie musicale fétiche, West Side Story. La confrontation iconique entre les Sharks et les Jets sort-elle grandie de cette réappopriation ? En 2021, les thématiques sont-elles encore d'actualité ? Réponse à travers notre critique inédite.
Mais dis donc, de quoi parle ce remake de West Side Story par Steven Spielberg ?
Spielberg reprend à son compte la célèbre histoire de Tony et de Maria, la fameuse reprise version Manhattan de Roméo & Juliette. Tony est l’ancien leader des Jets. De retour dans le quartier de West Side à Manhattan, il ne veut plus rien faire avec ses anciens camarades. Durant le bal, il rencontre Maria, la sœur de Bernardo, leader charismatique de la nouvelle diaspora portoricaine dans le quartier. Les tensions vont s’éveiller tandis que Tony fera tout pour tenter de les apaiser.
West Side Story : un récit à charge contre les violences racistes aux Etats-Unis
Steven Spielberg s’attaque ici à un monument du cinéma et de la comédie musicale en réadaptant le film de Robert Wise. Celui-ci est sorti il y a 60 ans de celà, faisant craindre un aspect daté de prime abord. Les hommages à l’œuvre d’origine sont par ailleurs nombreux, en commençant par la présence à l’écran de Rita Moreno, l’Anita du premier film. Ces références n’empêchent toutefois pas le film d’avoir son identité propre, avec des changements légers mais importants dans l’histoire.
Adieu les Sharks et Tony en prison
Tony est donc un ancien prisonnier, le gang des Sharks n’existe pour ainsi dire plus et seuls les Jets restent en place. Ajoutez à cela la destruction en cours du quartier, et le film se fait une allégorie (peu subtile) de la gentrification américaine, mais aussi des violences qui agitent le pays autour des questions de l’immigration et du racisme.
Les Jets sont des Blancs, descendants d’immigrés Irlandais pour la plupart, mais pas que. Tony n’est pas ici la version abrégée d’Antonio comme dans l’original, mais d’Anton, faisant du protagoniste non pas un “Rital” mais un “Polack”, pour reprendre le vocabulaire des personnages. La disparition des Sharks permet de valoriser la nationalité de Maria et de son entourage, tous Portoricains, et donc le discours du film sur le racisme. L’absurdité de ce racisme est d’ailleurs appuyée par le rappel que Porto-Rico est un territoire des USA…
60 ans plus tard, un propos hélas toujours très actuel
Ce propos met en exergue le sens de certaines chansons, à commencer par “America”. Difficile de rater ce que les vers “Life is all right in America / If you're white in America”, mais cela vaut pour l’ensemble de la chanson. De nombreuses répliques viennent confirmer et préciser cette prise de position plus affirmée, mais déjà présente dans l’œuvre d’origine.
Ainsi, Krupke rappelle aux Jets que s’en prendre aux immigrés quand on est soi-même fils d’immigré est absurde, faisant écho à l’histoire des USA, pays dont la population n’a cessé de se construire sur des vagues migratoires venues d’Europe d’abord, et d’Amérique Latine aujourd’hui. Tout cela a une résonance particulière pour le réalisateur puisque sa famille (ses grands-parents et arrière-grands-parents) est composée d’immigrés juifs Ukrainiens et Polonais.
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Spectaculaire, coloré, et dans la veine de ce que Spielberg fait de mieux en termes de divertissement
Dialogues et scénario sont ainsi au service d’un propos simple et direct, actuel et personnel. Mais Steven Spielberg est aussi un maître du spectacle par son sens aigu de la mise en scène. Il s’agit de sa première comédie musicale (même si Hook, qui aurait dû être une comédie musicale, a déjà quelques codes du genre).
Flatter la rétine : des séquences mémorables
Spielberg prouve qu’il sait mettre en scène et de nombreuses séquences impressionnent : l’ouverture présentant les immeubles détruits, la séquence de la chanson America, un magnifique duo entre Maria (Rachel Zegler) et Anita (Ariana DeBosse) ou encore la scène finale. Les cadres permettent d’apprécier un vaste environnement dans lequel se passent beaucoup de choses en même temps
À cet égard, les scènes de danse sont denses, et globalement, la rétine du spectateur est flattée. Cependant, tout n’est pas parfait et deux éléments affaiblissent la force de la mise en scène : le montage et le traitement colorimétrique de certaines scènes.
West Side Car Story : un montage trop nerveux
De fait, le montage propose des cuts assez réguliers. En dehors de la séquence d’ouverture qui impressionne, peu de scènes profitent de plans longs. En particulier, les scènes de danse auraient été nettement mieux mises en valeur avec un montage moins découpé. Cette réflexion vient vite durant la séquence du bal, mais plus encore peut-être pendant America.
Les acteurs sont clairement capables de restituer de très belles chorégraphies, mais celles-ci sont très découpées et donc difficiles à apprécier. Les cuts viennent valoriser des moments précis de ces chorégraphies, que des mouvements de caméra seuls auraient pu souligner.
Des décors réels qui sonnent faux
Quant au traitement de l’image, il a quelque chose de faux. Le film a été tourné en décors réels, en extérieur, ce qui pouvait apporter de la vie et du vibrant. Dans plusieurs scènes, cela fonctionne (America, décidément un moment fort, en tête), mais d’autres fois, cela sonne faux, plus faux que des décors de studio. C’est le cas de la première scène avec les Jets, et globalement, des scènes qui les concerne.
Il y a peut-être une volonté de les rabaisser par la mise en scène et la colorimétrie plus terne ; néanmoins, le résultat final reste moins engageant. Dommage, puisque c’est sur les Jets que s’ouvre le film... Et il y a la scène “du balcon” entre Tony et Maria. Cette nuit sonne très faux tant les couleurs semblent plus fades alors que les briques, les flaques d’eau et le linge suspendu aurait pu apporter de la vie dans une scène où des sentiments amoureux intenses sont déclamés.
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Ansel Elgort : pas de Tony Award pour l'acteur de Tony ?
Certes, des éléments de mise en scène desservent le film ; ils restent cependant aisés à outrepasser. Un point, cependant, reste problématique à plus d'un titre : Ansel Elgort, l'acteur principal. Ce n’est pas qu’il soit foncièrement mauvais, c’est qu’il est correct. Correct dans son jeu et son chant, face à une Rachel Zegler (Maria), une Ariana DeBosse (Anita) et un David Alvarez (Bernardo) qui maîtrisent chant et danse. Ansel Elgort peine ainsi à convaincre alors qu’il a l’un des rôles les plus importants du film. S’il y a bien quelque chose qui peut empêcher d’entrer dans l’œuvre, c’est cela.
Fort Heureusement, il y a Rachel Zegler et Ariana DeBosse. Les deux actrices de West Side Story impressionnent par leur jeu, mais plus encore par leurs performances au chant et / ou à la dance, selon les scènes. Point d’orgue qui souligne ces grandes performances : un duo magnifique entre les deux actrices. Tout d'abord, elles chantent deux chansons différentes, illustrant les sentiments opposés qui les habitent ; la haine, pour l'une, et l'amour, pour l'autre. Par la suite, leurs deux voix s'unissent pour établir un sentier de compréhension mutuelle. Sans aucun doute la scène la plus forte du film.
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