C'est peu dire qu'on l'attendait celui-là. Enfin, qu'on l'attendait, façon de parler, après tout il est sorti un an après la rédaction de ces lignes. Néanmoins, compte tenu du CV des développeurs, de l'aura qui entoure le titre, et de son arrivée sur Xbox Series, il fait bon reparler de Ghostwire Tokyo.
Le jeu de Tango Gameworks a créé la sensation à sa sortie, pour des réactions mitigées. Avec du recul, que peut-on retenir du titre ? Découvrons-le avec le test de Ghostwire Tokyo sur PS5, PC et Xbox Series.
Une exclusivité console sur PS5 ?
Initialement, Ghostwire Tokyo est sorti en exclusivité sur console Playstation 5. Suite au rachat de Bethesda par Microsoft, et donc de Tango Gamework, le jeu devrait prendre sa place qui lui revient dans la ludothèque Xbox Series X début 2023.
De quoi ça parle, Ghostwire Tokyo, le jeu d'horreur tokyoïte ?
Akito était un garçon avec pas mal de soucis, qui devait rendre visite à sa sœur hospitalisée. Inconscient, par la faute d'un malencontreux accident de la route (prévention quand tu nous tiens), la visite est recalée. Et pour cause : à la place, il se fait le réceptacle d'un esprit perdu, KK.
Grand bien lui en prend finalement. À l'inverse du reste des résidents de Tokyo, il parvient à résister à l'emprise d'un étrange brouillard, et peut parcourir les rues du quartier de Shibuya, entièrement dépeuplé. Une fois enfin à l'hôpital, il assiste au rapt de sa sœur par Hannya, un étrange énergumène masqué.
Akito devra alors s'allier avec KK, l'esprit qu'il accueille, pour retrouver sa chère Mari. Heureusement, l'esprit lui donne la maîtrise de diverses magies, bien utiles au moment de défaire les démons et autres esprits qui hantent les rues de la capitale japonaise.
En espérant, au terme de son périple, qu'il parvienne à réhabiliter les humains disparus, et mettre un terme à la conspiration des ténèbres qui se joue.
Après The Evil Within, Tango Gamework dépeuple la capitale japonaise
Tango Gamework, avant l'arrivée impromptue de HiFi Rush en février 2023, était surtout connu pour son expertise dans le domaine de l'horreur. Il faut dire que le studio a été fondé par Shinji Mikami, émérite créateur de la saga Resident Evil. Pour appuyer le filon, les premiers jeux du nouveau développeur furent The Evil Within 1 et 2.
Et c'est peu dire que la proposition a marqué les esprits, dans deux registres différents. Le premier Evil Within constituait une évolution logique de Resident Evil 4. Plus glauque, extrêmement nerveux, et à la difficulté corsée, il immergeait le joueur dans un univers cauchemardesque dont nul ne pouvait ressortir indemne.
En contrepartie, The Evil Within 2 innovait avec la mise en place d'un univers open-world. Est-il facile de faire peur avec un monde ouvert ? Non. Et pourtant, ce second volet s'en tirait, a fortiori, plutôt admirablement.
Il aura fallu attendre cinq années pour découvrir leur nouveau titre. Avant le rachat de Bethesda, et par extension, Tango Gamework, par Microsoft, Ghostwire Tokyo était annoncé comme une exclusivité console pour Playstation 5. Cependant, sa genèse ne fut pas de tout repos.
Le projet, initié par Ikumi Nakamura, a subi le départ de la directrice créative à mi-chemin de son développement. Comment se remettre d'une telle perte, alors que le jeu portait de manière évidente la marque de la développeuse ?
À ce niveau-là, et à d'autres, Ghostwire Tokyo est une sorte de cas d'école. Il mérite que l'on s'y attarde, tant le jeu semble être le reflet de querelles internes, tout en assumant une identité originale, qui fait plaisir à voir.
Un énième monde ouvert ? Oui, Ghostwire Tokyo souscrit à l'ubisoftisation tous azimuts
Ah, le monde ouvert. Un genre à part entière, finalement, tant ses codes sont utilisés et réutilisés par l'immense majorité des jeux contemporains. Pour un Elden Ring, un Shadow of the Colossus, ou un Breath of the Wild, combien d'ersatz de Assassin's Creed et Far Cry ? Jusqu'aux plus récents titres, Hogwarts Legacy en tête, personne ne semble être prêt à montrer un peu d'originalité à cet égard.
Ce n'est pas Ghostwire Tokyo qui prouvera le contraire. Le jeu de Tango Gamework fonce tête baissée dans le genre. En témoigne sa carte qui se dévoile au fur et à mesure, par la force de portails à purifier. Si le joueur a le malheur de s'aventurer au-delà des limites, trépas s'en suivra, par la force du fatal brouillard initiant l'intrigue.
Impossible de passer outre les innombrables collectables à trouver. Tanukis, portails, spectres, kappa, statues Jizo, Magatama, notes d'enquêtes, rapports audio... Le décompte fait mal à la tête. Pour vous dire, le jeu a 240 000 esprits à réunir ! D'emblée, le jeu peut décourager en suivant de manière trop générique des poncifs dont l'ensemble de la production abuse ces dernières années.
Toutefois, Ghostwire Tokyo est un jeu pudique. Maladroit. Sensible. Particulier. Finalement attachant... et épuisant. Cela, il le doit à plusieurs éléments, plus subtils, intégrés dans l'aventure. Et qui, plutôt que de favoriser son aspect horrifique, le restreignent, au bénéfice d'un caractère original et enchanteur.
L'horreur est absente de Ghostwire Tokyo
Abordons l'éléphant dans la capitale nippone. Lorsqu'on parle de Resident Evil 4 et The Evil Within, une sensation revient en tête : l'angoisse, la pression. Pas forcément la peur, mais une impression d'urgence qui pèse sur les nerfs. Ce qui leur permet de faire partie des jeux vidéo parfaits pour Halloween.
En dépit de tous ses efforts, qu'il décuple tout au long du jeu, jamais Ghostwire Tokyo ne parvient à effleurer ses prédécesseurs. Le veut-il seulement ? Il y a fort à parier que non. Certes, son ambiance est pesante et mystérieuse. Davantage que de l'angoisse toutefois, il vise à perdre le joueur dans une vision onirique d'un Tokyo dépeuplé.
Pourtant, jamais ses effets ne font peur. Bon, de prime abord, peut-être, lorsqu'on se laisse berner par les murmures saccadés des ennemis avoisinants. Ou par leur design, franchement réussi. Très vite cependant le joueur va utiliser à bon escient les pouvoirs et habilités de Akito pour trancher dans le vif des confrontations.
En matière de palpitant, l'encéphalogramme plat n'empêche pas certains moments d'impressionner. La mise en scène, parfois virtuose et psychédélique, aurait toute sa place dans un long-métrage.
Il faut suivre un dragon d'encre se faufiler sur le parterre de Shibuya pour le comprendre ; visualiser l'espace sens dessus-dessous permettant des phases de plateforme ; des silhouettes d'écolière sans tête qui dansent, se dessiner sur un mur par l'entremise d'une lampe.
La verticalité, le charme magique du jeu de Tango Gamework
Comme énoncé plus haut, la progression dans le jeu de Tango Gamework est assez balisée. Elle table énormément sur l'exploration, faite à partir de deux éléments.
À l'instar de bon nombre de jeux vidéo en monde ouvert, il faudra découvrir des zones inaccessibles par l'entremise d'un accès, ici un portail Tori à purifier. Une fois ceci fait, le brouillard disparaît, et les quêtes annexes révélées.
Le joueur peut alors vaquer à ses occupations dans l'enceinte du territoire révélé. En utilisant la vision de l'aigle, ici nommée vision spectrale, les différents éléments dynamiques du décor sont révélés, parfois jusqu'aux hauteurs les plus élevées de la ville.
C'est là l'une des grandes réussites de Ghostwire Tokyo : avoir à ce point misé sur la verticalité. Au début du jeu, chaque bâtiment à escalader afin d'atteindre certains points d'intérêt se révèle grisant. La grimpe mise beaucoup sur le level-design à une échelle micro, alimentant les réflexions du joueur sur les éléments à utiliser afin de s'élever vers l'objet convoité.
Une fois arrivé aux plus hautes cimes surplombant Shibuya, voler de toit en toit se révèle tout aussi satisfaisant. Jusqu'à ce que l'on se confronte, une nouvelle fois, à ce fichu brouillard, et que l'on doive trouver un moyen de l'éparpiller. Et rebelote.
L'accomplissement lié à l'escalade s'estompe une fois l'arbre de compétences avancé. La routine s'installe alors, ce qui est assurément le plus grand défaut du jeu.
Original, séduisant, l'open-world horrifique est également épuisant
Ah, les collectables. Fléau du jeu vidéo en monde ouvert, il semble de plus en plus prégnant pour cacher une certaine forme de paresse intellectuelle. Ou plutôt, de gonfler très artificiellement la durée de vie d'un jeu qui s'en serait mieux sorti exempté de ces collections à rallonge.
Malheureusement, Ghostwire Tokyo s'en fait l'un des plus illustres représentants. Comme énoncé en amont, le jeu inclut 240 000 esprits à collectionner, des statues Jizho, des Yokai, des audiologs, des notes laissées par KK de son vivant, des Tanukis disséminés dans le décor, des Kappa... Un ensemble atteignant près d'un quart de million d'éléments à collectionner.
Le décompte laisse perplexe, et la manière plus encore. Pour détecter les collectables, Ghostwire Tokyo propose deux solutions : le son spatialisé, et la vision spectrale, essentielle à la première option.
Concrètement, lorsque vous utilisez la fonction spectrale, un son se fait entendre, plus important selon la proximité d'un objet spécial. En outre, l'écran affiche tous les éléments dynamiques, entourés de bleu.
Le problème, c'est que l'utilisation du son pour repérer les collectables dans Ghostwire Tokyo n'est pas très précise. Et que dire de la vision spectrale ? Sa sollicitation à ce dessein est d'une absurdité sans nom, puisque TOUS les éléments dynamiques sont entourés de la même couleur.
Impossible, dès lors, de percevoir un type de collectable particulier, ou, pire encore, le distinguer des autres éléments dynamiques. Objets donnant des soins et munitions, ennemis, Tanukis, spectres : tous les objets s'affichent de la même manière avec la vision spectrale.
Un choix étonnant, rendant l'exploration et la recherche de collectables particulièrement épuisantes. Dans le même temps, les vendeurs de supérettes, de mignons petits chats, sont affichés dans une couleur distincte.
Imparfaite, l'expérience de Ghostwire Tokyo reste séduisante
Une formule lapidaire peut emballer cette critique de Ghostwire Tokyo : il est son propre ennemi. Fruit d'un développement cahoteux, œuvre bancale par excellence, le jeu de Tango Gameworks possède des qualités à peu près équivalentes à ses évidents défauts.
Redondant, générique dans son approche du jeu en monde ouvert, le titre propose également une progression bien trop généreuse pour son propre bien. Au bout de cinq heures, tous les pouvoirs seront obtenus, et la marge de progression très ténue. Au final, la notion d'évolution du binôme Akito et KK est peu perceptible sur les trois quarts de l'aventure proposée.
A contrario, Ghostwire Tokyo peut se faire extrêmement séduisant sur des aspects particuliers. L'environnement et le folklore mis en avant attirent, ainsi que sa gestion de la verticalité. De plus, au tourant d'une quête annexe comme il y en a d'autres, on peut aisément se laisser happer par des thématiques assez originales et peu explorées au sein d'un jeu vidéo.
Le titre a finalement le malheur d'occidentaliser par son gameplay, un propos très japonais. Par souci de facilité et de rentabilité, le jeu imaginé par Ikumi Nakamura comble son vide par des éléments trop génériques et balisés. Alors que dans son cœur, il incarne une vision réellement originale et intéressante d'une représentation du Japon et certaines de ses particularités, parfois sociales.
Imparfait mais séduisant, Ghostwire Tokyo sera accueilli à bras ouverts par les joueurs résilients, qui ne rechignent pas à passer des heures redondantes. Cela avant de voir apparaître une fulgurance, un élément évident qui reste dans les mémoires, grâce à une mise en scène par moments virtuose.